De la détection électromagnétique au «Guet de l’Air» (Septembre 1939-juin 1940)

Avec quelques matériels français dépassés, et des stations britanniques en commande, mais non livrées, les armées françaises se trouvèrent fort dépourvues en moyens de détection électromagnétique quand la guerre fut venue, en septembre 1939. Pendant les mois de ‘Drôle de Guerre’, on s’efforça de constituer un réseau de « Guet de l’Air », en collaboration avec la RAF. Reposant sur l’emploi d’équipements anglais, ce programme laissait de côté le développement remarquable, mais trop tardif, de radars français modernes. C’est l’histoire peu connue de ce double effort que nous nous proposons de retracer. Continuer la lecture

Avril 1939 : la Détection Électromagnétique à l’heure anglaise

Qui se souvient aujourd’hui que la première commande massive d’équipements radar pour les armées françaises a été passée le 26 avril 1939 ? Décidée en quinze jours, cette commande de matériels anglais actait l’échec -et l’abandon- de la filière française de détection électromagnétique par le procédé David.

Cette décision, exceptionnelle par sa rapidité et les conditions dans laquelle elle intervient, illustre aussi les problèmes d’arbitrage entre l’achat de matériels nationaux et le recours à des  équipements étrangers, plus rapidement disponibles, un dilemme auquel les armées françaises seront régulièrement confrontées.

Le tournant des radars à impulsion

Les chercheurs travaillant sur les dispositifs de détection électromagnétique avaient pris conscience des avantages d’un système procédant par l’émission de brèves impulsions, plutôt que d’un signal continu comme les premiers modèles de détecteurs bistatiques, tels que ceux développés en France par Pierre David, dont nous avons retracé l’histoire dans un article précédent[1].

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« L’autre siècle », ou les difficultés d’une uchronie de 1914

 « Aujourd’hui, la plupart des historiens s’accordent pour considérer que la défaite française [dans la bataille de la Marne] a constitué une sorte de ‘’portail’’ du reste du XXe siècle ; il est même permis de soutenir qu’elle constitue l’origine de la situation si enviable dont bénéficie, grâce à la durable suprématie allemande, l’actuel continent européen devenu Union Européenne (UE) »[1] : Introduite en ces termes, la vision de « L’autre Siècle » que nous présentent une équipe d’historiens, essayistes et romanciers, coordonnée par Xavier Delacroix dans l’ouvrage d’uchronie éponyme a de quoi surprendre, voire choquer. Nous parait-elle convaincante ?

Au-delà d’un récit contrefactuel sur le déroulement de la bataille et l’issue de la guerre, c’est une vaste fresque d’un autre devenir du 20ème siècle sur les plans politique, culturel et social que dressent les auteurs. C’est pourtant aux aspects militaires et aux enjeux politiques les plus directement associés que s’attachera notre lecture et s’adresseront nos réactions.

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Le raisonnement contrefactuel, méthode pour la réflexion historique

« Patrick, vous ne pouvez pas me faire cela… » : Cette phrase clé est au cœur de l’ouvrage de fiction « Un diner à Bordeaux » qui, en ce mois de Janvier 2019, talonne « Sérotonine », le nouveau roman de Michel Houellebecq, au palmarès des meilleures ventes. C’est en effet par cette confidence que le président Juppé reconnait combien il est passé près d’une erreur qui aurait bien pu lui couter son élection à l’Elysée. Lors d’un diner à Bordeaux, au printemps 2013, il avait d’abord laissé Patrick Stéfanini[1] dans l’incertitude sur ses intentions, avant de comprendre qu’il le laissait ainsi libre de rouler pour un autre candidat. Heureusement, à l’heure du café, un sursaut de lucidité lui avait arraché ce cri du cœur, qui devait tout changer. Comme sa courte victoire sur François Fillon au second tour de la primaire de la droite, le  27 novembre 2016, devait le montrer, Juppé n’aurait jamais pu gagner sans l’amicale insistance de Stéfanini pour le convaincre qu’une campagne de primaire doit d’abord viser à gagner la majorité de son camp, ni  sans son efficacité dans l’organisation de sa campagne. Au-delà du succès de librairie, « Un diner à Bordeaux » devient une pièce incontournable des analyses qui s’interrogent sur l’origine du décrochage du quinquennat du président Macron, au moyen de scénarios alternatifs explorant les possibilités d’une politique de réformes dans la France d’aujourd’hui.

Il ne s’agit pas ici de filer cette uchronie politique, doublée d’une uchronie littéraire, exercice dont nous serions bien incapable. Il s’agit seulement de suggérer comment un récit contrefactuel peut être mobilisé pour nourrir la réflexion politique ou historique. Continuer la lecture

Une guerre des boutons avant la vraie guerre: la saga de l’aviation d’artillerie avant 1940-2ème épisode: l’Armée de l’Air résiste

A l’automne 1938, les armées de terre et de l’air s’opposent au sujet de la création d’une aviation d’artillerie, préfiguration de ce qui deviendra après-guerre l’ALAT -Aviation Légère de l’Armée de Terre. Faute d’aboutir, ce débat laissera l’artillerie française de 1940 démunie de moyens d’observation, manque que s’efforceront de palier des GAO -Groupes Aériens d’Observation- mal équipés pour cette mission dans des circonstances particulièrement difficiles.

Ayant présenté l’origine du débat dans un article précédent[1], nous proposons de revisiter l’histoire de cette rivalité dans ses différentes dimensions institutionnelles, techniques et tactiques, en dégageant le rôle des acteurs mais aussi ses interférences avec le développement des matériels, avions et autogires, dédiés aux missions d’observation au profit des armées terrestres. Continuer la lecture

Une guerre des boutons avant la vraie guerre: la saga de l’aviation d’artillerie avant 1940-1er épisode, à l’origine d’une revendication

De tous les griefs adressés par l’Armée de Terre à l’Armée de l’Air au terme de l’étrange défaite, le plus sévère concerne le refus persistant opposé à la création d’une aviation d’Artillerie autonome : « Les dirigeants du Ministère de l’Air prétendent qu’il nous aurait été impossible d’employer [de petits avions d’observation pour des réglages d’artillerie]. Les Allemands ont fait la preuve qu’on pouvait les employer à condition d’avoir la maitrise de l’air. La seule conclusion qu’on puisse tirer de la bataille de Mai-Juin 1940 c’est que depuis 1918 la situation avait été renversée au profit de l’Allemagne et cela grâce à l’impéritie du Ministère de l’Air »[1]: ces propos tenus par Abel Verdurand, cadre d’Air France et colonel de réserve dans l’Armée de l’Air, entendu lors de l’instruction du Procès de Riom, en janvier 1941, constituent  l’expression d’un ressentiment profond, largement partagé parmi les responsables de l’artillerie française.

L’organisation de l’aviation d’observation au profit des forces terrestres, en particulier pour les missions d’artillerie avait en effet fait l’objet d’un affrontement, véritable guerre des boutons, entre l’état-major de l’Armée et l’Armée de l’Air. Usant d’arguments de valeur inégale, mais surtout d’inertie, l’Armée de l’Air devait gagner ce combat fratricide, dont l’adversaire de 1940  s’est trouvé finalement le principal bénéficiaire.

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Le diesel V2 du char T34 : enquête sur les origines d’un moteur mythique

On peut certes discuter l’affirmation selon laquelle le T34 soviétique a été le meilleur char de la Seconde guerre mondiale. Nul ne peut contester en revanche qu’il a constitué un formidable engin au service des offensives successives qui ont amené  l’Armée Rouge jusqu’à Berlin. Au nombre des atouts duT34, figurait son puissant moteur diesel V2. L’origine de ce moteur est restée quelque peu mystérieuse. Longtemps, l’idée a circulé qu’il était un dérivé, dieselisé, du moteur d’avion français Hispano-Suiza 12Y, avant qu’on ne lui attribue une ascendance italienne, comme copie d’un moteur Fiat.

Éveillée par ce débat, notre curiosité s’est vite muée en une enquête aux rebondissements successifs. Alors que le sujet ne paraissait pas comporter d’enjeu historique significatif, il a débouché sur une étude de cas exemplaire des processus de transfert de technologie militaire et leurs retombées inattendues. Continuer la lecture

Avant le Radar, la Détection électromagnétique à la française

Pour l’histoire, le radar est une invention anglaise qui s’impose, sur le plan militaire, par la contribution qu’elle apporte à la victoire de la RAF en aout et septembre 1940. En revanche, l’existence en France d’un véritable système national de Détection électromagnétique, ou DEM, dont le principe avait été retenu dès 1936, est maintenant bien oubliée. Comme bien d’autres réalisations en cours, la DEM française devait être emportée dans la débâcle de 1940. Son échec pourtant, avait été signifié un an plus tôt, avec l’émergence d’un concurrent redoutable, la Radio Détection Finding (RDF) ou DEM à l’anglaise.

Méconnue, cette histoire des réalisations françaises, précurseur des radars de la Seconde Guerre Mondiale, mérite pourtant de retenir l’attention. Continuer la lecture

Le char FCM 36, un engin splendide ?

Si le char Somua reste l’exemple d’un matériel français performant dans les épreuves de mai-juin 1940, le FCM36, plus modeste par les capacités comme par le nombre, apparait pour sa  part comme le meilleur des chars légers, « un engin splendide » iront jusqu’à écrire des officiers qui l’avaient mené au combat. Étrange paradoxe, au vu des épreuves traversées et des pertes éprouvées par les deux bataillons équipés de ce matériel. Continuer la lecture

Le Morane 406: des handicaps connus, des performances occultées

Le 10 Mai 1940, lorsqu’est déclenchée l’offensive allemande, le Morane 406 est numériquement le principal chasseur français. Il représente plus de la moitié des chasseurs présents dans les unités de métropole, 390 sur 724, et arme 13 groupes de chasse monoplace sur 24.   De ce fait, ses insuffisances, plaçant les pilotes français en infériorité systématique lors de leurs rencontres avec l’adversaire, devaient peser lourd dans le déroulement de la campagne.

Le meilleur chasseur du monde !

En mars 1937, seulement 3 ans avant la campagne de France, l’hebdomadaire Les Ailes traduisait un sentiment très répandu en France lorsqu’il écrivait que le Morane 405 était sans doute « le meilleur des avions de chasse modernes », comme il apparait dans l’encadré ci-dessous. 

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Novembre 1918: armistice prématuré, offensive annulée, victoire perdue ?

« En ces temps de commémoration de l’armistice de 1918, il est difficile de ne pas se poser la question, fondamentale, du caractère prématuré de l’arrêt des combats: l’Allemagne n’a pas été envahie, et avec une mauvaise foi indicible, Ludendorff pourra, nous le savons aujourd’hui, crier au coup de poignard dans le dos ! Et, au fond, c’est Pétain qui avait raison » : ainsi le directeur de la rédaction de la revue « 14-18, le magazine de la Grande Guerre » se faisait l’écho dans un éditorial, en Novembre 2009, d’une polémique marquante de l’entre-deux-guerres[1]. Continuer la lecture

Le Plan Schlieffen (1905) n’est pas ce que l’on croit

Mis à jour le 26/11/2018

L’ombre du Plan Schlieffen pèse sur l’histoire des débuts de la Grande Guerre. Si, aujourd’hui,  l’expression de Plan Schlieffen reste attachée  à une stratégie de guerre sur deux fronts, en vue d’abattre rapidement un adversaire –la France-, avant de se tourner vers l’autre –la Russie, cette perception ne s’applique pas au Plan Schlieffen originel, celui de 1905, le seul plan de Schlieffen. Dans celui-ci, la France était à première vue seule visée, mais dans une stratégie cherchant à atteindre l’Angleterre.

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L’inventeur du char d’assaut : un lieutenant autrichien

A l’origine du char d’assaut, on évoque souvent de brillantes œuvres d’anticipation, comme la redoute sur roue de  Léonard de Vinci ou les Ironclads de H.G. Wells. Le temps des inventeurs peut être fixé à  1903, quand le capitaine Levavasseur présente au ministre de la guerre un projet de canon de 75 sur affût automoteur [1]. Toutefois, l’engin de Levavasseur préfigurait plus un canon d’assaut qu’un véritable char, avec son armement en tourelle et ses possibilités tactiques. Continuer la lecture

La Division Doumenc (1928), précurseur de la coopération organique interarmes.

Parmi les auteurs français qui ont, avant-guerre, pensé le rôle d’une force blindée dans un conflit à venir, le commandant De Gaulle et le général Estienne tiennent une place dominante, le nom de Doumenc étant plus rarement évoqué. On le trouve cependant cité, avec celui du général Héring, comme promoteur du combat interarmes. Continuer la lecture

Les derniers chasseurs Bloch, 157, 1010, 1011, 1040: entre mythe et mystères

Mis à jour le 27/11/2018

Dans l’histoire de l’aviation, le patronyme de Marcel Bloch disparait avec la défaite de 1940. Comme pourra l’écrire son biographe Claude Carlier, « Marcel Bloch est mort à Buchenwald »[1]. C’est en effet sous le nouveau nom de Marcel Dassault, emprunté  au nom de guerre de son frère ainé que l’avionneur, rescapé par miracle du camp de concentration,  reprend ses activités après son retour. Il n’y aura donc plus de chasseurs Bloch, mais une prestigieuse lignée de Dassault qui, d’Ouragan en Mystère, de Mirage en Rafale, vont constituer les fleurons de l’industrie aéronautique française. Continuer la lecture