Avant le Radar, la Détection électromagnétique à la française

Pour l’histoire, le radar est une invention anglaise qui s’impose, sur le plan militaire, par la contribution qu’elle apporte à la victoire de la RAF en aout et septembre 1940. En revanche, l’existence en France d’un véritable système national de Détection électromagnétique, ou DEM, dont le principe avait été retenu dès 1936, est maintenant bien oubliée. Comme bien d’autres réalisations en cours, la DEM française devait être emportée dans la débâcle de 1940. Son échec pourtant, avait été signifié un an plus tôt, avec l’émergence d’un concurrent redoutable, la Radio Détection Finding (RDF) ou DEM à l’anglaise.

Méconnue, cette histoire des réalisations françaises, précurseur des radars de la Seconde Guerre Mondiale, mérite pourtant de retenir l’attention.

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Aux origines de la détection électromagnétique

Pour suppléer aux limites de l’observation visuelle, notamment de nuit ou par mauvais temps, différents types de repérage par le son avaient été développés mais leur possibilités restaient limitées.

Télésitemetre BBT, hiver 39-40, source: S.Ferrard, Les matériels de l’ATF, tome1.

Parmi les solutions alternatives expérimentées, on avait essayé de détecter des avions en captant le rayonnement des circuits d’allumage de leurs moteurs. Peu efficace, cette technique se heurtait en tout état de cause à la généralisation du blindage, c’est à dire de l’isolation, de ces circuits électriques. C’est alors que Pierre David, collaborateur du Général Ferrié au Laboratoire National de Radioélectricité, proposa de « forcer les avions à rayonner en dirigeant sur eux le faisceau d’un émetteur». Comme il l’écrira plus tard, « une méthode particulièrement simple [pour obliger l’avion à rayonner des signaux repérables] consistait à disposer, en travers de la route, un émetteur à ondes métriques absolument classique, et à disposer le récepteur de manière à y combiner l’onde directe venue au ras du sol et l’onde réfléchie par l’avion, avec une phase variable. Il se produit entre elles un ‘battement’ caractéristique, révélant un passage »[1]. C’est ainsi que David décrivait le principe des détecteurs dits bi-statiques, par ce que reposant sur des récepteurs éloignés de l’émetteur, à ondes continues.

En réponse à une directive ministérielle du 22 janvier 1934, le LNR, avec le concours de la Section d’Etudes des Matériels de Transmission -SEMT- du commandant Labat, mène des essais prometteurs du procédé David. En utilisant un émetteur de 5 mètres de longueur d’ondes et 20 à 50 watts de puissance, « on constate alors la production de battements à fréquence audible, lorsque des avions passaient à proximité, jusqu’à 7 à 8 km, et une altitude de 5000 m », devait rapporter le futur colonel Cazenave, témoin précieux des débuts du radar en France[2]. David se heurte cependant à l’opposition de ses supérieurs, en particulier C. Gutton, successeur de Ferrié à la direction du Laboratoire National de Radioélectricité, spécialiste des ondes très courtes et dont les essais sur une longueur d’onde de 16 cm avaient échoué. Paradoxalement, la publication d’un brevet américain, si elle privait l’équipe David et Labat de la possibilité de revendiquer une antériorité, devait débloquer la situation en attestant de l’intérêt de leurs recherches.

David, à gauche, et Labat, à droite, avec un ingénieur des PTT, source: Blanchard, Radio Science Bulletin.

Le brevet 1981884, délivré le 27 novembre 1934, mais déposé en 1933 par Hyland, Taylor et Young, trois chercheurs de l’American Naval Research Laboratory , protégeait un system for detecting objects by radio , dont la figure ci-dessous indique le principe, caractéristique de ce que l’on qualifiera ultérieurement de radar bistatique. Des résultats équivalents avaient été publiés en 1933 par trois chercheurs des Bell Laboratories. L’onde émise par l’émetteur –transmitter– est reçue par le receiver à la fois après réflexion sur l’avion –trajet S-S’ou S2, et directement –trajet G. C’est la superposition des trains d’ondes reçus directement et indirectement qui génère les perturbations du signal, perceptibles par un battement Doppler.

Brevet américain de 1934 pour un détecteur bistatique, source : US Patent database.

On retrouvera ces schémas sur tous les essais de matériels de ce type.

Essais et perspectives de la DEM par détecteurs bistatiques

A partir de là, des moyens modestes, mais renouvelés, vont permettre d’engager une phase d’expérimentation plus systématique. Le 5 juillet 1935, une lettre du général Duchène, Inspecteur de la DAT, sollicite le ministre de l’Air d’apporter son concours aux essais[3].

Lettre du général Duchène, source SHD.

Duchène signale que « les premières expériences pourraient commencer dans le courant de la semaine prochaine et être menées rapidement de façon que la solution, dont l’importance capitale pour la DAT ne saurait vous échapper, soit suffisamment mise au point pour qu’elle fasse l’objet ultérieurement d’exercices d’application dans les Centres d’études spécialisés des différents départements, notamment de l’Armée de l’Air ». Le programme porte sur la mise au point des matériels construis par le Laboratoire National d’Electricité, mais aussi sur l’évaluation des potentialités de la méthode pour fournir les mesures d’altitude et de vitesse nécessaires à un emploi opérationnel en vue de constituer de véritables barrages électromagnétiques qu’un avion ne pourrait franchir sans révéler son passage. C’est également en 1935 que la marine procède à ses premiers essais de détection avec les matériels du LNR, rapidement complétés par des matériels de l’industrie privée. Ces essais devaient démontrer que le système comportait sur mer une portée supérieure, du fait de meilleures conditions de propagation.

Les essais de 1935 et 1936 démontrent un taux élevé de détection, de jour comme de nuit, avec une approximation de vitesse et de la route suivie jugées encourageantes. De ce fait, l’idée d’un déploiement à grande échelle de « barrages David » se fait jour.

Fait peu connu, l’état-major de l’Armée de l’Air a proposé, le 23 décembre 1936, dans un rapport relatif au renforcement des moyens de la DAT dans le cadre du Plan III préparé sous l’égide des généraux Féquant et  Jauneaud, le déploiement d’appareils de détection électromagnétiques sur les principales lignes de guet.

Proposition de l’EMAA pour renforcer la DAT dans le Plan III, source : SHD

Pour équiper ces lignes de guet, il fallait créer 4 compagnies de guet, comprenant 400 hommes, avec seulement 8 officiers. La dépense d’équipement était évaluée à 35 millions répartie les budgets de 1937 et 1938, somme bien modeste au regard du cout total du Plan III estimé à 2800 millions[4]. On mesure à ces données le caractère très rustique des matériels, émetteurs et récepteurs, nécessaires à la constitution de barrages David. Non soutenu par le ministre, P.Cot, le plan III est écarté par le Comité Permanent de la Défense nationale le 8 Février 1937 et, avec lui, la première tentative de doter la France d’un dispositif de détection électromagnétique.

L’approfondissement du procédé : 1937-1938

Un nouveau crédit de 70000 Francs est attribué pour la construction, début 1937, de 12 ensembles émetteur-récepteur en vue d’approfondir les essais. Il s’agit de multiplier les enregistrements de battement Doppler correspondant à diverses configurations de passage, comme ci-dessous, dans le cas d’un seul appareil abordant en biais la ligne de barrage E—R :

Enregistrement d’un passage sur une ligne de DEM. Source: David, Le Radar.

Il était important de pouvoir distinguer le passage de plusieurs appareils :

Passage de deux Mureaux, source SHD 2B120.

Les détecteurs bistatiques à ondes continues n’offraient cependant qu’un moyen bien imparfait pour préciser la vitesse et la direction de l’avion détecté. Pour améliorer l’efficacité de la DEM, David imagine un dispositif qualifié de « maillage en Z », dans lequel «l’enregistrement du battement sur plusieurs barrages successifs permettait en effet d’obtenir une indication utilisable sur la vitesse, la direction et l’altitude de l’avion ».

Schéma de maille en Z, source: David, Liaison des Transmissions.

Ce système fit l’objet d’expériences de chasse de nuit au CEAM de Reims en Juillet 1937. Il s’agissait en effet d’évaluer dans quelle mesure la DEM pouvait s’intégrer dans les procédures de l’Armée de l’Air.

Les essais par l’Armée de l’Air

Poursuivis à l’été 1937 lors des manœuvres communes Air-DAT dites Reims-Argonne, les essais furent confiés en septembre au Centre d’Expérience Aériennes Militaire -CEAM- de Reims.

Pour situer ces travaux, il n’est pas inutile de noter un contexte d’optimisme qui apparait, au vu des évènements à venir, bien illusoire. Sur la base d’essais conduits à l’automne 1937, en dehors de tout recours à la DEM, le rapporteur du CEAM écrivait : « le problème de guidage de l’aviation légère à la rencontre de l’aviation lourde, par le procédé Krebs, peut être considéré comme résolu ». Le commandant Krebs avait en effet proposé de combiner un procédé d’observation par postes de guet optique, permettant de connaître la route suivie par l’ennemi, et un procédé d’exploitation, permettant de calculer un point de rencontre avec une patrouille de chasse de protection. Sur les mêmes principes, « la note du capitaine Idatte du 7 Mai 1934 présentait une solution rationnelle du problème de la chasse en secteur obscur. Les possibilités nouvelles données par les ensembles d’écoute moderne (mle 1934) qui venaient d’être mis en commande augmentaient encore les espoirs que l’on pouvait fonder sur cette méthode».

Malgré des difficultés résultant de la puissance  et de la stabilité insuffisante des matériels d’émission et de réception utilisés, la première série d’essais s’avèrent encourageants. En revanche, l’exercice présenté au Ministre de l’Air le 5 Février 1938 semble avoir rencontré des difficultés, résultant en particulier de contraintes imposées à la localisation du PC et des éléments du dispositif.

Par ailleurs, un officier rapporteur devait regretter que: « quant aux moyens d’exécution, on ne peut, du fait de l’opposition du Ministère de la Marine à nos propositions de collaboration, compter que sur ceux du Département de la Guerre, moins nombreux et plus anciens que ceux de la Marine qui dispose actuellement, du matériel le plus moderne »[5] .

Une station à deux récepteurs pendant les essais de 1938, source: SHD.

Dans un rapport détaillé du 25 Octobre en forme de relevé des résultats obtenus, le Capitaine Arsac se propose d’évaluer la « valeur du procédé électromagnétique de détection des avions ». Nous ne pouvons entrer dans les détails de cet examen soigneux de la précision des repérages, des délais de leur utilisation et de leur application aux manœuvres de chasse auquel se livre le rapporteur du CEAM. Il en ressort notamment que la DEM sur ligne unique constitue essentiellement un dispositif d’alerte, l’exploitation d’une détection sur deux lignes, préférée par le rapporteur au dispositif en Z préconisé par David, étant nécessaire pour préciser la route et la vitesse des avions détectés. Dans les meilleures conditions d’utilisation des matériels existants, le délai écoulé entre franchissement de la ligne par la cible et la transmission d’une information interprété à un PC de chasse est de 6 minutes, pendant lesquels cet appareil aura parcouru de l’ordre de 35 km, d’où la nécessité de réduire ce délai de traitement et de transmission. Dans l’esprit du procédé Krebs, l’idée est de placer une patrouille de chasse sur la route de -ou des- appareils à intercepter. Parmi les nombreuses recommandations, figure celle « de doter tous les avions amis d’un appareil radio à ondes très courtes leur permettant de se signaler par un chiffre secret du jour. Le fonctionnement de ce poste devrait être automatique de façon à réduire au minimum la servitude imposée à l’opérateur radio [au pilote, sur un monoplace] ». Un tel dispositif qui deviendra l’IFF était alors également loin d’être au point en Angleterre.

Le rapport Arsac propose divers schémas de déploiement. Une ligne double visant à guider la manœuvre de la chasse, sur un front de 60 km, comporterait ainsi deux lignes identiques à 4 émetteurs et 6 récepteurs, éloignées de 30 km, la ligne des ‘points de contacts’ de la chasse avec la cible détectée se trouvant 10 km en retrait. Selon le tableau d’effectifs associé, l’ensemble de ce dispositif n’exigerait qu’une centaine d’hommes, dont 3 officiers. Il serait donc très économe par rapport à une ligne de guet reposant sur la détection visuelle.

Dans un courrier de transmission du Rapport Arsac à l’EMAA, le colonel Valin[6], commandant du CEAM, met en valeur les résultats obtenus : « La méthode de détermination des éléments du passage d’un avion sur une ligne simple, présentée par le capitaine Arsac, est un résultat entièrement nouveau. Il n’a pu être obtenu que grâce d’une part aux perfectionnements importants apportés par le lieutenant Nicolardot aux conditions d’utilisation pratique du matériel électromagnétique, d’autre part à l’exploitation rationnelle et persévérante de résultats expérimentaux rigoureusement contrôlés […] il parait avantageux, comme il a été spécifié dans ce rapport de considérer la détection électromagnétique comme un élément parmi un ensemble de moyens de détection. On demandera à chacun le renseignement qu’il fournit le plus aisément », la DEM pouvant ainsi être complétée par le guet à vue et des procédés radiogoniométriques à développer.  Ecrivant à l’automne 1938, Valin justifie ainsi la transmission d’un rapport d’étape: « En d’autres temps, la présentation d’un rapport d’ensemble eut pu attendre la fin des expériences susceptibles de donner plus de poids à certaines conclusions, mais il est apparu, à la lumière des évènements de septembre dernier, que le dépôt de conclusions pouvant intervenir dans des décisions importantes relatives à l’équipement des lignes de guet du réseau de Sécurité Générale, ne devait pas être différé pour attendre un complément d’information qui ne parait pas essentiel ».

Vers un déploiement de la Détection électromagnétique

Plutôt que d’envisager un emploi autonome de la DEM, il est envisagé, comme l’indiquait le document préparatoire au Plan III, de déployer ces moyens en renforcement des lignes de guet. De ce fait, le déploiement de la DEM apparait comme un perfectionnement qui ne remet pas en cause le système de Sécurité Générale en vigueur. Dès le 28 Septembre 1938, Valin avait confirmé que « le détachement de détection électromagnétique du Centre d’Expériences serait dès maintenant en mesure, avec ses moyens actuels en personnel et en matériel, d’occuper l’un ou l’autre des types de ligne de guet ci-dessous :

  • Ligne d’alerte simple formée de postes espacés de 40 km environ et développée sur 300 km de front ;
  • Ligne de DAT améliorée, ligne simple formée de postes espacés de 10 km environ et développée sur 60 km ; »[7]

L’énoncé des services rendus par ces dispositifs fournit une information précise, bien qu’optimiste, sur la conclusion tirée des essais. La ligne d’alerte donnerait les enseignements suivants : « alerte infaillible (sic) au passage de la ligne, heure de passage précise, point de passage à 10 ou 15 km près; par contre, dans la plupart des cas, l’altitude, la direction, le nombre et le type des avions seraient inconnus ».  La ligne de guet DAT améliorée fournirait « les mêmes renseignements avec l’avantage de l’infaillibilité quant au passage, une plus grande précision sur l’heure et une amélioration sur le point de passage ».

En termes d’organisation, « le détachement de détection électromagnétique serait juxtaposé dans tous les cas au réseau de sécurité [générale]. Il se raccorderait aux circuits téléphoniques de la DAT par ses moyens propres. Les renseignements qu’il recueillerait seraient acheminés aux Centres de renseignement du réseau de sécurité par les moyens ci-dessus. L’exploitation de ces renseignements serait faite à partir des Centres soit par le Commandement de la chasse, soit par la DAT ».

La complémentarité entre équipements nouveaux de la DEM et moyens anciens ressort bien d’un rapport de Mai 1939, relatif à un exercice d’évaluation du procédé d’interception Krebs « avec adjonction d’une ligne de détection électromagnétique de précontact, pour caler dans le temps le passage des bombardiers sur la ligne de contact », les stations de DEM assurant une détection élémentaire, mais avancée.

Les moyens nécessaires nous surprennent par leur modestie : une maille de 3 postes ne demanderait qu’un sergent et un caporal, un poste d’exploitation un adjudant, 2 sous-officiers et un homme de troupe secrétaire, la Section de DEM elle-même un seul officier, pour un effectif total de 45 hommes.

Les essais d’utilisation de la DEM pour la manœuvre de chasse de jour, prévues pour fin aout 1938, n’avaient pu avoir lieu, les manœuvres Air/DAT prévues ayant été annulées du fait de la tension internationale. Pour Valin cependant, ces expériences à reprendre en 1939 devraient apporter certaines mises au point, plus que des remises en cause : « l’expérimentation de la manœuvre de la chasse sur une ligne double se fera en effet en appliquant le dispositif dont le principe a été dégagé des expériences précédentes »[8].

Comme le faisait remarquer le directeur du CEAM, la situation appelait une décision rapide.

Installation laborieuse de la couverture DEM de Paris

Par courrier du 11 Octobre 1938, l’EMAA au nom du Ministre, informe le colonel commandant le CEAM : « J’approuve vos propositions relatives à la constitution, à titre permanent, d’une unité de détection électromagnétique dans le cadre du Centre d’Expériences Aériennes Militaires. Je vous informe que j’ai décidé, en conséquence, la création de cette unité à la date du 15 Octobre 1938». Cette Compagnie de DEM est constituée à Reims au printemps 39. Watson-Watt, de passage en France, assiste à une démonstration le 26 Mai : « De retour à Paris, le 26 Mai, nous allâmes à Reims pour assister à une démonstration pratique du système de David basé sur la Détection électromagnétique par ondes entretenues DEM»[9].

Comme au moment de Munich, au début 1939, la DAT envisage l’intégration des ‘barrages’ dans le réseau de « Sécurité générale ». Le capitaine de corvette Ballande, alors détaché par la marine auprès du général Aubé, Inspecteur de la  DAT, reconnait certes « que l’inaptitude [des stations de DEM] à dégrossir l’altitude et la route des incursions ne permettait pas de les utiliser pour la chasse mais qu’ils seraient intéressants pour le réseau de guet », et cela, sans attendre. Dans ce sens, en Février 1939, Ballande prépare pour Aubé une lettre à Vuillemin considérant que « surtout, dans les circonstances actuelles, il parait imprudent de retarder l’installation des barrages de détection jusqu’au moment où les dispositifs accessoires permettant ces mesures [des coordonnées de l’avion et de ses caractéristiques de mouvement] seront au point ». Pour lui, « le matériel simple et peu couteux déjà mis au point par l’Armée de l’Air pouvait être construit assez vite pour que les secteurs les plus dangereux fussent couverts par ce réseau d’alerte avant la fin de 1939 »[10].

Le général Aubé, à droite ; à gauche, le général Mouchard, source: muséedesétoiles.

Début Février, dans un courrier préparé par Ballande, Aubé rend compte à l’état-major de l’Armée des possibilités d’utilisation des barrages de détection électromagnétique par le Service de Sécurité Générale. « Les expériences effectués avec les appareils de détection électromagnétique ont montré :

1°- qu’un ensemble comprenant un émetteur encadré, à 10 km de part et d’autre par deux récepteurs, constituait un barrage d’alarme remarquablement sûr, décelant tout avion franchissant cette ligne de 20 km entre 200m et 9500 m d’altitude ;

2°-que l’adjonction à chaque récepteur  d’un appareil accessoire permettrait vraisemblablement de mesurer, dans un avenir prochain, les coordonnées de position et les caractéristiques de mouvement des avions survolant le barrage »[11].

« Dans leur état actuel, les dispositifs de détection électromagnétique peuvent donc accroître considérablement la valeur du Service de Sécurité Générale. Etablis sur une ligne ininterrompue de barrages élémentaires parallèlement aux frontières, ils doubleraient le guet spécialisé et suppléeraient à leurs défaillances, notamment la nuit, par mauvais temps, en cas de vol à très haute altitude ou au- dessus des nuages, [ou encore] lors de l’emploi de moteurs d’avions à silencieux ». Malgré l’intérêt que présenterait la mesure des coordonnées de l’avion et de ses caractéristiques de mouvement, « il serait imprudent, surtout dans les circonstances actuelles, de retarder l’installation des barrages de détection jusqu’au moment où les dispositifs accessoires effectuant ces mesures seront au point ». Par ailleurs, « la rusticité du matériel actuellement au point permet d’envisager, d’ores et déjà, son installation en campagne, dès le temps de paix, aux emplacements assignés aux postes de guet et de limiter à de très faibles effectifs le personnel spécialisé chargé de leur entretien » .

Exemple de rusticité, une tour de détection d’un barrage Marine, source: Marine Nationale, via Pujade

Sur cette base, Aubé propose de :

1° « commander immédiatement le matériel nécessaire pour établir une succession ininterrompue de barrages de 20 km juxtaposés le long du cheminement Nord-Sud des lignes de guet A, C, I, B, J, A, B, sur la moitié orientale de la ligne R et sur la ligne Y ;

2°-dès leur livraison, mettre en place les émetteurs et les récepteurs aux emplacements prévus pour les postes de guet ;

3°-former le personnel technique d’entretien et intégrer ce personnel dans les compagnies de guet ».

Figure 11 Soulignées en rouge par l’auteur, les lignes de guet qui doivent être renforcées de stations de DEM, source: d’après SHD.

Pour les essais de 1939, il a été décidé, en liaison avec l’Inspection Générale de la Défense aérienne du Territoire, d’installer « un dispositif permanent comportant une ligne double composée de :

  • une ligne double de 40 km confondue avec la ligne R du dispositif de Sécurité Générale sur la section Martigny, …Marfaux ;
  • une ligne avant moins étendue, entre Savigny et Saint-Rémy (récepteurs à Gomont) [qui n’aurait qu’un caractère provisoire];
  • un réseau téléphonique permettant la transmission instantanée des renseignements du guet électromagnétique […]

L’infrastructure définie ci-dessus, qui en tout état de cause, permettra de donner avec une certaine précision des éléments de passage d’avions évoluant en direction Nord Est-Sud Ouest, pourra facilement servir de cadre à d’autres expériences confiées au CEAM, en particulier dans la phase des expériences préliminaires de chasse de nuit utilisant des procédés de guidage électromagnétiques (par radiophare et goniomètre) »

L’infrastructure définie ci-dessus, qui en tout état de cause, permettra de donner avec une certaine précision des éléments de passage d’avions évoluant en direction Nord Est-Sud Ouest, pourra facilement servir de cadre à d’autres expériences confiées au CEAM, en particulier dans la phase des expériences préliminaires de chasse de nuit utilisant des procédés de guidage électromagnétiques (par radiophare et goniomètre) ».

On notera la place centrale occupée dans ce dispositif par l’existence de communications adéquates, qui ne sont envisagées que par des liaisons téléphoniques, les principales par lignes dédiées.

Cette décision de déploiement va cependant être remise en cause au profit d’un dispositif couvrant plus directement la région parisienne

Dans une note manuscrite destinée à Vuillemin, le  3ème bureau de l’EMAA présente ainsi les hésitations sur le déploiement des éléments de barrage David qui vont marquer toute l’année 1939 : « En Octobre 1938, le Gal Vuillemin a pris la décision de principe d’utiliser en doublement de la ligne R de Sécurité générale, entre Laon et Epernay, la section DEM mise sur pied à Reims. Or, à la suite d’une étude complète de la question, le général Aubé propose d’utiliser cette section pour la couverture directe des secteurs de chasse de nuit de Paris, de façon à permettre le rendement maximum des Potez 63 conformément au nouveau règlement de manœuvre de chasse de nuit »[12]. Prudemment, le 3ème bureau se borne à « faire connaître [au chef de l’Armée de l’Air] les raisons qui militent en faveur de l’adoption des propositions du Général  Aubé ».

Le général Keller, chef de l’EMAA ne fait pas suite à cette proposition, mais prescrit d’utiliser la section DEM de Reims en doublement de la ligne R. Les instructions données visent clairement à l’intégration de la DEM à la Sécurité Générale : « les postes de DEM seront installés au plus près des postes de guet ordinaires de façon que leur position puisse être considérée comme confondue sur la carte de travail du CR deParis et qu’il puisse être fait usage des mêmes indicatifs pour les désigner. En particulier, l’emplacement des postes récepteurs, qui seules aurons des messages à transmettre, devra permettre l’utilisation de la ligne téléphonique, munie d’un franchisseur de bureau, du poste de guet ordinaire ». Ces appareils, supposés accélérer les transmissions téléphoniques en court-circuitant des bureaux relais, devaient s’avérer bien décevants. La volonté d’intégration au dispositif existant ne favorisait certes pas la rapidité des communications essentielle à l’efficacité des nouvelles méthodes de détection, comme d’ailleurs ce point de procédure prescrit par l’état-major : « Afin de n’apporter aucun troubleau trafic téléphonique normal des postes de guet ordinaires, chaque poste récepteur DEM installé à côté d’un de ceux-ci remettra au téléphoniste du poste de guet le message qu’il aura rédigé. Ce message sera transmis au CR comme s’il émanait du poste de guet lui-même qui lui affectera son numéro d’ordre et l’enregistrera sur son carnet de guet ».

Jusqu’à la guerre, la Section DEM de Reims va faire l’objet de projets contradictoires, en doublement d’un segment de la ligne de guet R, ou en appui du groupement de chasse de nuit de Paris. En Juillet, l’état-major de l’Armée semblait se rallier à la demande d’Aubé, à un déploiement au profit des secteurs de chasse de nuit de Paris[13]. La mobilisation devait intervenir avant que cette décision ait été suivie d’effet.

Les autres lignes de DEM réalisées ou projetées

« En 1937, la Marine, conseillée par M. David, établit tout un programme de barrages pour protéger les principaux ports militaires : Cherbourg, Brest, Toulon et Bizerte. Le matériel (émetteurs Kraemer, récepteurs Sadir et enregistreurs de la Précision Electrique) fut aussitôt approvisionné »[14], pourra écrire l’ingénieur en chef du Génie Maritime Giboin qui suivait à l’époque les programmes de détection de la Marine.

En 1938, la Marine avait même recruté David, découragé par l’hostilité de Gutton à son égard. Du dispositif envisagé, au moins le réseau de DEM couvrant le Finistère pour protéger le port de Brest était en fonctionnement avant la guerre.

Barrages David de la Marine en Bretagne, source: P.David, Le Radar.

Le dispositif allait de l’Ile de Batz à Belle Isle, avec des postes intermédiaires à l’Ile Vierge, Ouessant, les Pointes du Ratz et de Penmarch, soient des intervalles allant d’un minimum de 38 km à un maximum de 100 km. Cette dernière portée, de Penmarch à Belle-Ile, n’aurait pas été réalisable sur  le continent.

La Marine avait aussi prévu un réseau méditerranéen, en vue de couvrir Marseille et Toulon,  que devait compléter un barrage entre la Provence et la Corse. Ce réseau ne sera pas réalisé avant la guerre.

En Janvier 1939, Daladier était allé à Tunis rappeler la présence de la France face aux prétentions italiennes. En Mars, il donne son accord de principe au « projet d’installation d’un réseau de détection électromagnétique en  Tunisie établi par le général Inspecteur Général de la Défense Aérienne » [15], projet transmis pour avis aux services techniques du Génie, puis au Commandant Supérieur des troupes en Tunisie. Ce réseau, qui devait être très développé, n’avait pas reçu à la déclaration de guerre, de commencement d’exécution. 

Reconnaissance tardive du système David, le 6 mai 1940, Vuillemin informait Darlan que « dans un rapport en date du 18 Octobre 1939, établi par les techniciens britanniques, il était indiqué que le système français de DEM par barrages verticaux pouvait être amélioré et que le procédé était le seul à pouvoir être utilisé, en l’état actuel de choses, dans les régions montagneuses. J’ai demandé à la mission ‘A’[de l’Armée de l’Air auprès de la RAF] de me renseigner au sujet des améliorations possibles et il a été décidé que cette question serait inscrite à l’ordre du jour de la prochaine réunion du Comité Militaire Franco-Britannique des Télécommunications »[16].

Ce projet, qui devait prendre consistance pendant la Drôle de guerre,  comportait sur une longueur d’environ 70 km, 3 émetteurs à Pontarlier, Les Rousses et Lajoux et 2 récepteurs doubles à Laringes et Morteaux. En effet, Vuillemin donne début Juin « l’ordre de mettre en place un dispositif de barrage vertical électromagnétique sur la frontière suisse », ce correspondait à un redéploiement de la compagnie de DEM en retraite début juin, avant de la diriger vers la Provence.

Réalisations étrangères

Loin d’être une spécificité française, le principe de barrage fondé sur matériels à émission continue avait été considéré dans différents pays: aux États-Unis, avons-nous vu, où le dispositif avait été breveté en 1934, sa réalisation n’est pas poussée au-delà d’essais préliminaires, en faveur de systèmes plus évolués, comme en Allemagne. En URSS,  RAPID, un rideau électromagnétique conçu par l’ingénieur Oshchepkov est également essayé à partir de 1934, et ce système connaitra un développement limité, 34 matériels RUS-1 étant en service en 1941[17].

Bien que des chercheurs Japonais aient été à la pointe dans le développement du magnétron, ouvrant la voie à l’utilisation des ondes centimétriques, les réalisations concrètes de l’armée et de la marine impériales devaient porter d’abord sur la construction de barrages constitués de radars bi-statiques, dont l’un, déployé entre Formose et le continent, a été le plus puissant jamais réalisé.

Les chercheurs britanniques ne s’attachèrent guère à cette technique. Toutefois, par un curieux paradoxe, c’est avec une expérience classique de détection par un dispositif bistatique -l’expérience de Daventry-que Watson-Watt devait, en janvier 1935, convaincre l’Air Ministry  des possibilités de détection électromagnétique et, surtout, de financer ses recherches sur le procédé, beaucoup plus prometteur, de radar à impulsion.

L’expérience de Daventry, 1935, source: Johnson, Secret War

La tradition qui voit dans l’expérience de Daventry la naissance du Radar est bien mal fondée : Les mêmes observations ont été faites depuis plusieurs années dans plusieurs pays, dont la France et les États-Unis  et Watson-Watt est alors loin de maitriser la technique des radars monostatiques à impulsion, à laquelle son nom est resté attaché.

Le devenir des barrages David pendant la guerre

Conformément à l’une des options envisagées, « l’unité de détection électromagnétique, constituée à titre exceptionnel en temps de paix au CEAM de Reims, a été employé dès le début de la guerre, en doublement d’une portion de la ligne R du réseau de Sécurité générale ». Cette unité n’avait cependant aucun tableau d’effectifs défini et le Colonel Cornillon, chef du 3e bureau de l’EMG des Forces aériennes, qui rapporte ces informations, demande la régularisation de renforts affectés, vu l’urgence,  au secteur de guet électromagnétique[18].

Pendant les opérations de 1940, cette compagnie mettra en œuvre les matériels R/E-62 commandés l’année précédente, d’abord sur le front Nord-Est, avant de se relier sur la vallée du Rhône[19]. On manque d’information sur les résultats opérationnels obtenus par cette unité, qui semblent cependant bien modestes.

Dernier barrage DEM couvrant la Provence en juin 1940, source: Blanchard, Radio Science Bulletin.

L’activité de la compagnie de DEM de Reims pendant la guerre relevait déjà d’une survivance. En effet, au printemps 1939, la décision avait été prise d’abandonner le système français de détecteurs bistaiques à ondes continues au profit du système, beaucoup plus performant, de détecteurs monostatiques à impulsion, en recourant, dans un premier temps, à des matériels anglais importés.

Des barrages prévus, en Tunisie et dans le Jura

Deux lignes de DEM constituées de barrages David étaient en cours d’installation en Tunisie, l’un pour couvrir au Nord la région de Bizerte et Tunis, l’autre au sud, celle de Gabès. « Il semble que les survols de reconnaissance quasi quotidiens et les quelques attaques plus importantes de la Regia Aéronautica  survenues du 12 au 14Juin  aient été correctement détectées ». Plus généralement, écrira l’amiral Marquis, « pendant les hostilités, la Marine a utilisé, outre le guet, les barrages électromagnétiques et l’appareil anglais. Il est incontestable que le système de repérage à ondes courtes a constitué un grand progrès dans la détection des avions, les barrages électromagnétiques étant cependant très inférieurs à l’appareil anglais »[20]. La référence à l’appareil anglais vise les stations mobiles, dont la Marine a mis en œuvre deux exemplaires, l’un à Toulon, l’autre à Bizerte.

Après la défaite, la marine devenue le principal organisme impliqué dans le développement de la détection électromagnétique, poursuivi l’usage de barrages David à côté du montage de dispositifs plus avancés. Un rapport du 9 Juin 1941 du Contre-amiral chef d’état-major de la 3e Région maritime indique que cet organisme « entretient sur la côte des barrages de détection électromagnétique [comportant 4 émetteurs et autant de récepteurs, notamment à Port Cros et Sicié] Ces barrages détectent tous les passages d’avions (d’altitude supérieure à 600 mètres) entre un poste émetteur et un poste récepteur. Ils détectent également les avions passant dans une zone de 3 km de part et d’autre de la ligne émetteur-récepteur. Les passages sont immédiatement signalés aux CR intéressés »[21].

Un système dépassé ?

Malgré les espoirs placés en lui par P.David et quelques officiers de l’Armée de l’Air, le système de détection électromagnétique bistatique à onde continue n’a jamais offert que des possibilités très limitées. Témoin privilégié de cette époque, J. Malbois devait concéder que: « Malheureusement, ce battement [signal caractéristique du franchissement d’un barrage] comme on s’en doute, était des plus capricieux et, par ailleurs, il se produisait pour différentes positions de l’avion au passage du mur hertzien, d’où nécessité de tracer des familles de courbes très compliquées. Le système ne pouvait fonctionner qu’en défense, puisqu’il était impossible de porter la ligne AB [émetteur-récepteur] en territoire ennemi. Il avait au moins le mérite de susciter des études, une volonté de trouver quelque chose, ce qui n’était pas le cas des armes spécialisées»[22].

Giboin, qui avait suivi l’installation de barrages David par le Marine résume bien les limites du système : « Il faut reconnaître que le procédé du ‘’barrage’’ est assez rudimentaire et qu’il a l’inconvénient de ne détecter l’avion qu’à son passage dans le plan vertical où il est placé ; le barrage est en outre moins efficace dans ses résultats lorsqu’il y a un grand nombre d’avions au lieu d’un seul ou d’un petit groupe. Il avait toutefois le mérite de n’exiger qu’un matériel très simple, peu couteux, facilement exploitable par du personnel d’instruction modeste et difficilement brouillable. Il était perfectible et déjà les appareils enregistreurs qui ont été utilisés sur les barrages français représentaient un perfectionnement très intéressant »[23].

Incontestablement dépassé dans les conditions de 1940, le principe des radars bistatiques devait rencontrer un nouvel intérêt dès la fin des années 1950, quand les Etats-Unis et le Canada ont testé des systèmes de radars bistatiques pour combler les trous dans la couverture de leur dispositif d’alerte avancée –Distant Early Warning[24]. La conception par David du « maillage en Z » préfigurait les systèmes contemporains, dits MIMO (Multi-Input-Multi-Output)[25], terme générique désignant des dispositifs développés notamment pour le suivi des missiles et des satellites.

Un intérêt de la formule des radars bistatiques est la possibilité d’utiliser –à son insu- un émetteur de l’adversaire : l’installation amie, ne comportant que le récepteur,  peut alors échapper à la détection et être plus difficile à brouiller. Fait longtemps méconnu,  dès 1943, les allemands ont procédé à des essais d’un dispositif de ce type qui aurait pu améliorer dans une grande mesure les délais et la précision de détection des raids de bombardiers alliés. Sous le nom de code de Klein-Heidelberg, ce dispositif consistait à utiliser comme émetteur de puissants radars de la Chain Home britannique, et comme détecteur un poste monté sur le pylône d’un radar Wassermann-S de la ligne Kammhuber, selon le schéma figuré ci-dessous[26]. Sept installations devaient être réalisées, dont les premières à Boulogne, fin 1943, puis à Oostvoorne, en Hollande, au printemps 1944.

Schéma du dispositif Klein-Heidelberg, source: Willis, art. cité.

Sur ce schéma, on retrouve la configuration d’un radar bistatique, avec la station de Douvres intervenant comme émetteur, et une station de réception spécialement aménagée à Oostvoorne, utilisée comme récepteur. Heureusement pour les Alliés, les Allemands furent lents à réaliser le potentiel d’un tel système, qui demandait d’ailleurs, au-delà de sa simplicité apparente, des mesures très précises et de lourds calculs pour une utilisation opérationnelle.

Et si…

Le Plan V, de renforcement de l’Armée de l’Air, adopté au printemps 1938, ne concernait pas la DAT. De ce fait, il n’abordait pas le sujet des moyens de détection. Vue la modestie des moyens requis, il était très envisageable d’adopter alors un dispositif semblable à celui envisagé dans le projet de Plan III, en décembre 1936. Les 4 compagnies auraient pu être déployées le long des lignes de guet définies en 1939, sinon à la mobilisation, du moins dans les mois suivants.

Il ne faut pas nourrir d’illusions rétrospectives: l’efficacité opérationnelle de ce dispositif aurait été pratiquement nulle au cours des opérations actives, à partir du 10 mai. En revanche, dans les mois précédents, un dispositif bien rôdé  aurait pu détecter nombre des passages d’avions de reconnaissance allemands, isolés ou en petites formations,  que l’on pouvait arriver à distinguer des vols amis connus par ailleurs. Il serait resté, bien sûr, d’autres difficultés à une interception réussie par la chasse alliée, mais une  amélioration, même modeste, du taux de réussite de ces interceptions aurait pesé sur les conditions dans lesquelles la Luftwaffe a mené, en avril, un programme de missions très dense en vue de reconnaître les axes de progression prévus pour les Panzers. En novembre 1939, Goering avait bien suspendu ces vols en raison des pertes d’appareils encourues, pourtant peu nombreuses[27].

A côté d’une efficacité directe limitée, on peut penser que le déploiement d’un réseau DEM de barrages David aurait engagé l’Armée de l’Air et la DAT dans un véritable processus d’apprentissage, révélateur de l’insuffisance des réseaux de communication et de commandement. En révélant les limites du système, cette expérience aurait pu stimuler l’adoption de la solution plus performante des radars à impulsion, tout en préparant des noyaux de personnels disponibles pour une transition vers ces matériels plus complexes.

Notes et références

[1] P. David, préface à l’ouvrage de Pujade, Le radar, la science en guerre, p.8. On trouve de nombreuses informations sur le sujet dans l’ouvrage de Y.Blanchard, Le Radar, 1904-2004, source complète la plus accessible sur l’histoire du Radar en France.

[2] La Détection Electromagnétique en France avant le Radar, Transmissions, Bulletin de liaison de l’Amicale des transmissions-navigation-balisage, février 1970, p. 18.

[3] Archivée au SHD, 2B 120.

[4] Rapport au SHD carton GR 2N22.

[5] CEAM, Cdt Mioche, Chasse de nuit, Rapport partiel, 6-09-38, p. 5

[6] Le colonel, puis général, Louis Valin était le frère ainé de Martial Valin, futur commandant des FAFL

[7] Lettre au chef d’Etat-major de l’Armée de l’Air, 28-09-38, SHD 2B120.

[8] Lettre de transmission: Valin à l’EMAA, 10-12-38, SHD 2B120.

[9] Watson-Watt, Le Radar, Icare, Bataille d’Angleterre, p. 121.

[10] De l’Amirauté à Bikini, p. 18.

[11] Lettre Aubè au Ministre de la Défense Nationale, 4-02-39, in SHD 2B120.

[12] Sans date, probablement début avril 1939, SHD 2B120.

[13] Lettre du Président du Conseil au général commandant la région de Paris, 13-07-39.

[14] E. Giboin, L’évolution de la détection électromagnétique dans la Marine Nationale, extrait de l’Onde Electrique, 1951, p. 4.

[15] Lettre du Président du Conseil au Ministre de l’Air, 20-03-39.

[16] Lettre de Vuillemin à Darlan, 6-05-40, in 1D11.

[17] Blanchard, Le Radar 1904-2004, p. 167.

[18] Note au 1er bureau EMG, 20-12-39, SHD 1D11.

[19] Blanchard, op. cité, p. 76.

[20] Rapport du 10-10-41, cité par Belle, La défaite française, un désastre évitable, tome 2, p. 58.

[21] Plan de Défense aérienne de la 3e Région maritime, SHD 3D388, p. 22.

[22]  Liaison des transmissions, p.16.

[23] Op. cité, p. 54.

[24] Willis et Griffiths, Advances in Bistatic Radars, p.22.

[25] Blanchard, A French Pre-WWII…, art. cité.

[26] Cf. Klein-Heidelberg-A WW2 bistatic radar system that was decades ahead of its time, H. Griffiths et N. Willis, p.17

[27] Cf. E. May, Strange Victory, p. 380.

7 réflexions sur « Avant le Radar, la Détection électromagnétique à la française »

  1. « Il ne faut pas nourrir d’illusions rétrospectives: l’efficacité opérationnelle de ce dispositif aurait été pratiquement nulle au cours des opérations actives, à partir du 10 mai. »

    Il n’est pas si sûr que des barrages David bien opérés eussent été inefficaces le 10 mai 1940, en supposant que le circuit d’alerte ait été opérationnel à cette date.

    Il me semble que la première ligne des barrages David devaient être déployée sur la ligne Maginot. La distance la plus courte de Saint-Avold à Nancy (terrains de Toul-Croix-de-Metz, GC II/5, et Velaine-en-Hay, GC I/8) est de 60 km à vol d’oiseau.

    Pour un assaillant volant à 400 km/h (grand maximum pour une formation à pleine charge de bombes), la durée de vol est de : 60 / 400 = 0,15 heure = 9 minutes.

    Si l’alerte est donnée en 5 minutes plus 3 pour le décollage sur alerte, les premiers chasseurs sont en l’air, à près de 1.000 m d’altitude, à l’arrivée de la première vague de bombardiers sur les terrains et peuvent permettre de protéger le décollage des suivants. L’attaque va être désorganisée et les assaillants risquent des pertes non négligeables, d’autant que cette première vague n’était pas escortée.

    Pour les terrains plus à l’intérieur, le préavis est plus important encore. Par contre, certains terrains du nord de la France (Arras, GC I/11, Norrent-Fontes, GC III/1, Cambrai-Niergnies, GC III/2, Calais-Marck, GC II/8 et F1C) sont plus proches de la frontière belge et n’aurait pas eu assez de temps pour réagir efficacement si les assaillant avaient tiré au plus court (ce qui n’est pas évident s’ils ne connaissaient pas les caractéristiques des barrages David), tout au plus l’alerte aurait été donnée juste avant l’arrivée des bombardiers allemands au dessus des terrains.

    À part pour les cinq terrains du nord cités, les résultats de l’assaut initial aurait été bien moins bons et la réaction française aurait inversé l’effet psychologique par rapport à OTL, ce qui n’aurait manqué d’influer sur la suite de la bataille.

    Mais je vous rejoins tout à fait sur la suite logique d’un déploiement plus précoce des barrages David : la recherche d’une plus grande précision et d’un plus grand préavis dans la détection et donc le passage naturel à la détection par impulsion. Que celle-ci soit déployée trois mois plus tôt et intégrée au dispositif de guet et l’attaque allemande va trouver une forte opposition partout.

    • Les barrages David permettaient difficilement de localiser les appareils, leur altitude et leur trajectoire, et donc a fortiori d’identifier vols amis (français ou anglais) et ennemi. Ils gardaient une utilité pendant la période d’activité plus faible de la Drôle de guerre, mais à mon avis plus avec l’activité intense des opérations actives.
      Les radars à impulsions de la Chain Home eux mêmes ont été efficaces parce que la situation tactique était simple: vols groupés importants venant du continent. Sur le front, ils auraient été d’une efficacité bien moindre.

    • Je pense justement que l’intensité des opérations aurait entraîné une réponse importante : au lever du jour, des détections multiples et continues sont remontées aux CR respectifs ; devant l’importance des passages, en l’absence de toute activité significative alliée (je doute qu’il y ait eu seulement un vol français au dessus de la ligne Maginot le 10 mai au matin), tous les GC auraient été alertés d’une attaque en masse. On peut douter que, en l’absence de répétition générale, la réaction ait été optimum mais, pour les groupes de chasse situés à au moins 60 km de la frontière, les appareils en alerte auraient été au contact des assaillants dès leur arrivée et les autres en instance de décollage. Bien entendu, la multiplicité de détections aurait interdit de calculer la moindre route d’interception et les patrouilles seraient restées vertical terrain, en attendant d’avoir plus d’information sur les zones attaquées. Comme quasiment tous les terrains le furent, chaque patrouille aurait eu fort à faire localement face à une dizaine ou quinzaine de bombardiers mais ces derniers n’auraient pas eu le champs libre.

      Ceci suppose, et c’est là le point le plus délicat, que le circuit de communication et de décision ait été efficace. Si le système était en place depuis plusieurs mois, on peut le penser. Mais le flux d’informations aurait aussi pu saturer les CR et retarder l’interprétation de la situation et la diffusion des alertes. L’envoi de la patrouille en alerte aurait aussi pu être retardée par le commandant du groupe de chasse en l’attente d’informations plus précises. Mais qu’une moitié seulement des terrains soient protégés par la patrouille d’alerte et le résultat aurait été complètement différent de la réalité historique.

      Un deuxième effet aurait été la mise en alerte toute la journée des stations de détections des barrages David dont on peut penser que les interprétations se seraient affinées et que les informations remontées auraient été plus pertinentes d’heure en heure. La seule information de l’arrivée d’un nouveau raid aurait été d’une importance capitale, permettant de gérer les missions de défense aérienne : le fait de savoir qu’on a ou qu’on n’a pas d’assaillant potentiellement en approche permet de décider localement à quel moment faire atterrir les patrouilles en action. Bien sûr, encore une fois, ce n’aurait pas été parfait mais cela aurait permis d’éviter dans un certain nombre de cas le ravitaillement sous les bombes.

      Quelques petits grains de sables…

  2. 1. L’invention du radar est allemande et pas anglaise ni française
    2. En artillerie antiaérienne on ne règle pas les tirs, on les prépare (voir les cours de base du tir sol-air de Pagezy en 1915.
    3. L’invention de l’IFF est totalement anglaise. Le premier IFF dit Mark 1 (puisqu’il y eut le Mark 2 !) n’a été opérationnel et en quantité qu’a partir de Dunkerque et pas en 1938.
    4. La Home Chain était un système goniométrique et dans un deuxième temps, un système goniométrique impulsionnel.
    5 Question de prééminence radar: Les allemands avaient dès 1934 un VRAI radar de tir. En mai 40 le Wurzburg de Gema « conduit » une batterie de 88 Flak et descend son premier avion. En décembre 1939, un radar Freya sur la cote Baltique détecte un groupe de 24 bombardiers Wellingtons. Quatorze appareils furent détruits. Il faut noter que les émetteurs allemands n’avaient pas de magnétron. L’Allemagne Nazi avait 4 à 5 ans d’avance. Dieu merci Goering était un idiot et les anglais avaient des salles de filtrage ultra performantes.
    Salutations

  3. Merci à l’auteur pour ses recherches historiques passionnantes. Que de travail…Soyez en remercié.

    Concernant la détection et l’alerte, rien n’est possible sans bonnes transmissions. Or, nos moyens de transmissions, partout sauf dans la Marine, étaient absolument déficients. Les notions de rapidité et de rendement étaient absentes à tous les niveaux. Sans compter l’invraisemblable lenteur bureaucratique qui imprégnait les armées.

    • Merci pour votre réaction encourageante, à un moment où mes recherches prennent du retard.
      Vous avez raison tout à fait sur le contexte nécessaire et en particulier les transmissions. Il me reste au moins un article à écrire sur la question.

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