On peut certes discuter l’affirmation selon laquelle le T34 soviétique a été le meilleur char de la Seconde guerre mondiale. Nul ne peut contester en revanche qu’il a constitué un formidable engin au service des offensives successives qui ont amené l’Armée Rouge jusqu’à Berlin. Au nombre des atouts duT34, figurait son puissant moteur diesel V2. L’origine de ce moteur est restée quelque peu mystérieuse. Longtemps, l’idée a circulé qu’il était un dérivé, dieselisé, du moteur d’avion français Hispano-Suiza 12Y, avant qu’on ne lui attribue une ascendance italienne, comme copie d’un moteur Fiat.
Éveillée par ce débat, notre curiosité s’est vite muée en une enquête aux rebondissements successifs. Alors que le sujet ne paraissait pas comporter d’enjeu historique significatif, il a débouché sur une étude de cas exemplaire des processus de transfert de technologie militaire et leurs retombées inattendues.
L’histoire d’une légende
La thèse d’une origine française du moteur du T34 remonte, curieusement, à un article allemand, publié par un certain M. Augustin, dans la revue Motortechnische Zeitschrift de mai-juillet 1943. A défaut de pouvoir accéder à l’article original, nous avons consulté ce qui parait en être une assez large transcription dans la revue française « Le Génie Civil », de décembre 1943. On peut d’ailleurs relever l’ambiguïté de cette transcription rapide, témoignant d’un côté d’une forme de relai de la presse de l’occupant, mais illustrant de fait le niveau technique des armes de son adversaire.
Sous le titre « Le moteur Diesel des chars lourds de l’armée russe », nous trouvons la présentation suivante : « En vue d’accélérer les études et d’éviter les mécomptes inévitables dans la mise au point d’un modèle tout à fait nouveau, on a adapté aux besoins des chars un moteur ayant déjà fait ses preuves. L’organisation générale du moteur est inspirée de celle du moteur d’aviation à 12 cylindres Hispano-Suiza, conçu pour consommer de l’essence et transformé pour fonctionner selon le cycle Diesel; la combustion est fondée sur le principe adopté en France par les établissements Coatalen et utilisé pour la première fois en Allemagne par les chantiers navals Krupp-Germaniawerft pour ses moteurs marins »[1].
Prudente, la formulation n’évoque qu’une « inspiration » empruntée au moteur Hispano, ainsi qu’une « combustion fondée sur un principe adopté » par Coatelen, qui avait construit et fait essayer entre 1936 et 1939 une version diéselisée de l’Hispano, fort remarquée à l’époque.
La CIA ne devait pas s’embarrasser d’autant de nuances. Dans un rapport déclassifié en avril 2000, de l’étude approfondie d’un T34 capturé en Corée: « ENGINEERING ANALYSIS OF THE RUSSIAN T34/85 TANK. SEPTEMBER, 1951 », nous trouvons en effet la présentation suivante :
Certes, ce document, secret pendant 30 ans, n’a guère pu contribuer à la légende d’une origine Hispano du moteur du T34. Il atteste plutôt de la prégnance de cette hypothèse, probablement sous l’influence du rapport allemand qui avait inspiré la publication de 1943.
On trouvera, pendant des décennies, de multiples occurrences de dette thèse, sur un ton plus ou moins affirmatif. A titre d’exemple, voici la formulation qu’en donne un article « un peu d’histoire : le T34 » du site de jeux worldoftanks.
A l’appui de cette thèse, il est vrai que des moteurs Hispano, ou leurs dérivés, ont été à plusieurs reprises produits en Russie.
Hispano dans la Russie soviétique
Les moteurs Hispano avaient équipé différents appareils russes pendant la Grande Guerre, et les autorités soviétiques devaient exploiter une licence de fabrication du V8 jusqu’au milieu des années 20. En 1928, Bessonov concevra un 12 cylindre en V, copie étroite du 12-M d’Hispano[2]. Les contacts engagés en octobre 1933 visaient d’abord à l’acquisition de 130 moteurs 12Y, dont 30 assemblés et les autres en pièces détachées. Puis c’est une démarche formelle en vue de l’acquisition d’une licence en bonne et due forme qui est confiée à l’ingénieur V. Klimov, et débouche en aout 1934 sur un contrat de fabrication sous licence[3]. Les premiers M100 construits à ce titre en 1936 comptaient encore des pièces d’origine française. Cependant, Hispano s’avérant incapable de fournir les prestations contractuelles dut payer une indemnité de 2,6 millions de francs. Pendant ce temps, Klimov s’engageait dans le développement de versions améliorées, son modèle M103 de 1000 cv étant lancé en série dès 1939, un an avant son équivalent français.
En termes de date, il n’y avait donc pas d’incompatibilité à une influence de l’Hispano sur le développement du V2. En revanche, il n’y a aucune trace de collaboration entre Klimov et les ingénieurs en charge de la conception du diesel pour char, que différents liens unissent en revanche au concurrent de Klimov, le concepteur du moteur du célèbre avion d’attaque Sturmovik, A. Mikuline. A part une architecture générale partagée par la plupart des moteurs V12 de l’époque, le rapprochement du moteur V2 avec les Klimov se limite à une cylindrée très voisine, de 38 litres, loin des 47 litres des Mikuline M35 et M39, dont nous verrons pourtant qu’ils partagent des caractéristiques techniques originales avec le moteur du T34.
Une alternative italienne: l’hypothèse Fiat
Un moment classifié, comme le rapport précité de la CIA, un rapport anglais de 1944 devait introduire une hypothèse alternative. Cosigné par un major du Royal Tank Regiment, ce Report on Russian C.I. Tank Engine Type ‘’V2’’ from T-34 Cruiser Tank, de la School of Tank Technology, comporte, avec une étude technique détaillée, la description suivante de la conception de ce matériel : « Bien que l’histoire du développement de ce moteur ne soit pas connue, il a été clairement adapté d’un moteur d’aviation et n’a pas été conçu à l’origine comme un moteur de char. Loin d’être inadapté comme moteur de char, ses caractéristiques principales conviennent tout à fait pour cet emploi […] En raison d’un manque à peu près complet d’informations en Angleterre sur les moteurs d’aviation russes, on ne peut pas dire grand-chose sur le moteur dont est dérivé leV.2. On sait que, avant-guerre, l’industrie russe produisait principalement des moteurs ‘avion étrangers, notamment Wright, Bristol, Hispano-Suiza et Gnome-Rhône. L’un de ces moteurs, le M.34, fut présenté au Salon de l’Aviation de Paris en 1936. Comme le montre une photo ci-jointe de ce moteur, il est clair d’après son apparence que ce modèle est très similaire au V.2 comme conception générale. En l’absence d’indications plus précises, il est possible que ces moteurs soient différents dans leur organisation interne, mais cela semble improbable au vu de leur ressemblance externe. Le M.34 est considéré avoir été conçu en Italie (Fiat) pour les Russes et, sous l’hypothèse qu’il soit aussi similaire au V.2 dans son organisation interne, cette conception suit étroitement la pratique italienne en matière de moteurs d’avion en ligne ».
Au-delà de l’introduction de cette hypothèse alternative, le rapport de la School of Tank Technology conteste l’idée d’une origine française : « un rapport allemand affirme que le moteur V.2 a été développé à partir d’un moteur Hispano-Suiza. Bien que la conception et le développement aient pu être influencés par Hispano-Suiza, il n’y ne semble pas y avoir de caractéristiques marquantes à l’appui de cette affirmation. Le même rapport allemand indique que la conversion au cycle diesel [littéralement : to C.I., compression-ignition, pour allumage par compression] aurait suivi le système Coatalen. C’est peut-être le cas mais la conversion au diesel a été réalisée d’une telle manière directe et classique qu’il n’y a rien qui suggère une origine particulière. Le Coatalen V.12, qui a été présenté peu avant la guerre au Salon de l’Aéronautique de Paris présente certains points communs avec le V.2, comme le même alésage, quatre soupapes par cylindres et un même type de chambre de combustion. Sur le plan mécanique, cependant, il présente de nombreuses différences et il recourt à un dispositif d’injection très particulier ». Parmi les caractéristiques du moteur que le rapport cite ensuite figure une particularité dont il ne relève pas l’originalité, manquant ainsi l’indice qui aurait pu conduire l’enquête à son terme, comme nous le verrons plus loin.
La thèse d’une origine Fiat se retrouve sur la toile. L’article de wikipedia en anglais, dans son introduction, définit le M34, et donc indirectement le V2, comme dérivant d’un moteur Fiat. Le site de wargame warthunder, souvent bien documenté, reprend également le texte du rapport anglais de 1944:
On trouve encore, sous une forme plus péremptoire, avec une belle confusion sur les unités de mesure de la cylindrée, entre litres et gallons:
La thèse de l’origine italienne se nourrit également d’un rapprochement entre l’acquisition antérieure d’une licence de moteur Fiat et l’investissement de la firme italienne dans le développement d’une gamme de moteurs diesel. Pourtant, s’il est bien vrai que Fiat, via sa filiale SPA, produisait une famille de moteurs de ce type, cette société devait peiner à mettre au point, en 1942-43, son modèle 8V de 420 cv, destiné à équiper le char P26/40, parfois surnommé « le T34 italien »[4].
Il nous reste à voir dans quelles conditions l’influence de Fiat a pu s’exercer dans le processus de gestation du moteur V-2.
L’histoire du développement du moteur V2.
Alors que des travaux préparatoires avaient été engagés dès 1932, nous indique un ouvrage de référence sur l’histoire des blindés soviétiques[5], « un établissement spécial de développement de moteurs diesel fut installé en 1934 à l’usine de locomotives de Kharkov et au début de 1935 des travaux furent engagés sur un nouveau moteur diesel pour tank de grande puissance. A la fin de l’année, le groupe, sous la direction de Trashutin avait achevé le développement du BD-2, un diesel à 12 cylindres développant 400 cv à 2000 t/m. Ce moteur fut testé avec succès sur un char BT-5 et, entre 1936 et 1938, il fit l’objet de nouveaux développements sous la direction de Tschubachin et Poddubni. Une fois achevé, il réussit un essai an banc de 100 heures et reçut la désignation de modèle V-2. Après de nouveaux essais et améliorations, le diesel V-2 fut monté sur la série des chars BT-7M, qui devait démontrer, à l’expérience, la supériorité de ce moteur sur la modèle à essence ».
Nous devons un autre récit de ce développement à M. Lage, qui disait le tenir de Y. Subbotin, ingénieur à l’usine de Yaroslavl, la première à avoir produit des moteurs diesels en Russie[6] : « Le V-2, connu comme le ‘’moteur de Kharkov’’, a été conçu à l’usine ‘’transmash’’, avec l’aide du département moteur de l’Institut technique de Kharkov au début des années 1930. I.A. Trashutin était l’ingénieur en chef et l’équipe de conception était composée de K.F. Chellan,Y.E. Vikhman et T.P. Chupakhin, avec l’aide du professeur Glagolev.
Le projet initial était un moteur diesel d’aviation ; son concept était donc similaire au Fiat AN-1 de 1930, à 6 cylindres en ligne, de 140*180mm [d’alésage et de course]. Il hérita de l’architecture à 12 cylindres et de la disposition de l’arbre à cames de l’Hispano Suiza/Klimov. Le résultat final ne satisfit pas aux attentes, à cause de son ratio poids/puissance trop élevé, qui en excluait l’usage comme moteur d’avion. Alors vint l’idée brillante de l’utiliser pour motoriser le T-34 en 1937 ». Ce récit nous met sur la voie d’un processus de métissage, dans lequel coexistaient les emprunts à Fiat et Hispano. Serions-nous là, avec cette synthèse, au terme de notre enquête ? Il ne le semble pas.
En effet, comme le notait le rapport de l’Institute of Tank Technology, le BD-2, précurseur du V-2, était bien apparenté au M-34 de Mikulin. En fait, les ingénieurs de Kharkov étaient partis de son prédécesseur, le moteur à essence M-17, dont la version M-17T, équipant les chars BT-7 depuis 1935, devait être produite à 7951 exemplaires jusqu’en 1939. Tout en comportant de nombreuses améliorations, le M-34 conservait l’architecture du M-17, et en particulier sa cylindrée de 47 litres, que l’on retrouvera sur le M35 puis le M39, moteur du célèbre Sturmovik.
Le M-17 lui-même n’était en fait qu’un modèle allemand produit sous licence, le BMW VI. Serions-nous, avec cette nouvelle piste, à l’origine du moteur V2 du T34 ?
Où l’on trouve l’indice décisif
Tout en concluant à une origine italienne, le rapport anglais de 1944 relevait une caractéristique du V2, assez particulière pour identifier une famille de moteurs : de l’organisation de l’embiellage, « il résulte que la course des pistons de la rangée du côté des bielles articulées est plus longue de 3,5 % que celle des pistons de la rangée du côté des bielles maitresses»[7]. Toutefois, il ne remarquait pas que cette caractéristique constituait un indice décisif dans la recherche de l’origine de ce moteur.
En effet, cette asymétrie, apparue sur le BMW VI se retrouvera sur tous les moteurs qui en ont été dérivés en URSS, d’avion ou de chars, à essence ou diesel. On peut la considérer comme la marque de conception qui atteste de la filiation du moteur du T34 à ce prédécesseur allemand, plus qu’aux modèles français ou italiens que la littérature lui a successivement attribués.
Parmi d’autres emprunts, la réduction de la cylindrée de 47 à 38 litres peut avoir été inspirée par l’exemple de l’Hispano 12Y. Pour réaliser cette réduction sur le moteur V2, Trashutin et Chelpan ont donné aux cylindres de droite, coté bielles articulées, une course de 187 mm, et aux cylindres de gauche, coté bielle maitresse, une course de 180 mm, mais ils ont conservé par ailleurs l’architecture du modèle germanique. On notera au passage que les rapporteurs de la CIA de 1951, bien piètres enquêteurs, n’avaient pas remarqué cette asymétrie, et attribuaient 180mm de course à tous les pistons.
Un contrat fatidique
C’est en 1923, alors que l’URSS était soumise à un embargo occidental, que la firme allemande BMW avait fait ses premières offres de service aux autorités soviétiques, sans résultat immédiat. En 1926, une mission soviétique relève qu’en Allemagne, alors que ni Daimler-Benz, ni Maybach n’ont de moteur d’avion performant à proposer, BMW vient de démarrer la production d’un modèle BMW VI, à 12cylindres en V, délivrant jusqu’à 750 cv[8]. Construit à 9200 exemplaires, ce moteur devait jouer un rôle crucial dans la renaissance de l’aviation allemande.
L’Aviatrust réussit à convaincre les autorités gouvernementales et, le 14 Octobre 1927, le directeur général de BMW, F. Popp, et le président du conseil d’administration de l’Aviatrust, M.G. Urivayev, signent le contrat de construction sous licence du BMW VI en URSS.
Ce contrat devait être complété de conventions semblables avec Bosch pour la production des magnétos et des bougies et avec Krupp, qui devait fournir dans un premier temps les vilebrequins et les roulements.
L’apport de BMW ne se limitait pas à la cession des droits et à la communication des plans. Il comportait une assistance technique à la production et une centaine d’ingénieurs et ouvriers, la plupart communistes de conviction, devaient participer à la production du M17.
Au terme de notre enquête, voici identifié le transfert initial de technologie qui, au terme d’un processus de développement mené par les ingénieurs russes, nourri d’emprunts à d’autres modèles, devait doter l’armée rouge d’un moteur apportant à ses principaux chars un avantage certain sur leurs adversaires. Si l’on ajoute que le moteur de l’avion d’assaut IL2 Sturmovik, autre terreur des Panzerfürher et autres Feldgrauen, dérivait du même modèle de moteur BMW, on mesure la portée parfois inattendue d’un accord de transfert de technologie.
En désignant Hispano-Suiza comme origine du moteur du T34, les auteurs du rapport allemand de 1943, bien inconsciemment sans doute, détournaient ainsi l’attention d’une réalité qui pouvait s’avérer compromettante pour une grande firme du Reich.
Et si…
Loin de nous l’idée de revisiter l’histoire des relations germano-soviétiques dans les années 20 mais, au passage, une réalisation française s’est trouvé à plusieurs reprises évoquée.
Dérivé, lui, de l’Hispano-Suiza 12Y, le diesel Coatalen avait retenu l’attention. En France, peut-on lire dans un article de « la Technique Moderne » en 1938, « il y a le moteur Coatalen, sur lequel, on peut, croyons nous, fonder les plus grandes espérances […] Il donne 575 cv à 2000 t/m, soit 90% de la puissance du 12Y à essence […] Sa consommation aux essais a été de 153 gr/cv/h, alors qu’aucun concurrent n’a fait mieux que 175. Ceci est un résultat qui n’a été obtenu qu’en France » [9]. Toutefois, poursuivait l’auteur, « il a un tort, c’est de n’avoir pas encore démontré son endurance par un essai officiel. C’est un défaut qui, nous en sommes persuadé, sera bientôt corrigé (dans quelques mois) ».
Le rédacteur faisait là preuve d’un optimisme excessif. « Malgré ses résultats encourageants et sa belle présentation au Salon aéronautique de 1936, [et alors que le moteur avait effectué une vingtaine d’heures d’essais en vol], des difficultés apparurent lors des essais d’endurance. Des problèmes de rigidité des culasses et des structures du moteur, de même que les évènements de 1939, mirent fin à cette expérience de Louis Coatalen », indiquent Bodemer et Laugier dans leur « Histoire des moteurs à piston aéronautiques français »[10]. Pour Louis Bonte, « le moteur Coatalen, construit à partir d’un 12Y Hispano, ne fut pas plus heureux [que le Salmson-Szydlowski], probablement à cause du manque de rigidité du moteur de base »[11], tandis que, selon Danel et Cuny « de très sérieux ennuis de culasse, justement, retardèrent la mise au point, qui fut finalement stoppée par la guerre »[12] .
Il ressort de ces avis que le processus de transformation conduit par Coatalen n’était pas en cause, et que les défauts constatés pouvaient être corrigés au prix de renforcements, qui l’auraient certes alourdi, et donc réduit son intérêt comme moteur d’avion, mais l’aurait adapté comme moteur de char. Entrepris à temps, avec un objectif clair et des moyens suffisants, ce scénario contrefactuel pouvait résoudre divers problèmes de motorisation des chars français. Ainsi modifié, un Coatalen C12U aurait pu donner 480 cv à 1700 t/m, régime limité pour améliorer son endurance, une performance tout à fait comparable aux 500 cv fournis par le V-2 russe à 1800 t/m, proche en termes de poids et d’encombrement. Cette solution aurait présenté plusieurs avantages par rapport à une alternative telle que l’adaptation d’un moteur Clerget: un refroidissement par liquide, plus compact que le refroidissement par air, une industrialisation facilitée par la similitude avec un moteur produit en série et, surtout à nos yeux, une modularité que pouvait difficilement fournir un moteur en étoile. Comme devait le faire Ford pour dériver dans l’urgence son moteur GAA pour les Sherman américains, il était possible de définir un C8U, de 320 cv à 8 cylindres, et un C6U, à 6 cylindres, de 240 cv. Si elle ne posait pas a priori de problèmes de résistance, une telle dérivation de versions réduites n’allait pas de soi, car elle exigeait de revoir l’équilibrage des parties mobiles du moteur, un exercice toujours délicat. A l’arrivée cependant, on mesure l’avantage qu’aurait tiré un B1 bis ou B1 ter d’un diesel de 320 cv, et les projets de Somua 40 d’un C6U de 240 cv. Quant à un C12U de 480 cv, il aurait trouvé une perspective d’utilisation pour motoriser, en deux exemplaires, les chars de forteresse projeté pour 1941, puis de réels chars modernes de 35 à 40 tonnes.
Historiquement, l’intérêt du moteur diesel pour les chars, démontré par le FCM36, avait conduit l’AMX et l’état-major à retenir divers moteurs Aster, dont on connait peu de chose, à part leur puissance prévue et leur état incomplet de développement. Dérivés de moteurs industriels, ils auraient probablement été plus lourds et plus encombrants que des diesels dérivés de moteurs d’avion.
Un tel scénario aurait exigé une volonté et une lucidité dont manquaient les autorités françaises, à la différence -dans ce domaine tout au moins !- du pouvoir soviétique.
Notes et références
[1] Article cité, p. 271.
[2] M. Lage, Hispano Suiza in Aeronautics, p. 257.
[3] V. Kotelnikov, Les chevaux de l’Oural, Le Fana de l’Aviation, Novembre 2004, pp.65-68.
[4] F. Cappellano et alii, Italian Medium Tanks : 1939-45, p.18.
[5] J. Milsom, Russian Tanks 1900-970, The complete Illustrated History of Soviet armoured Theory and Design, p. 57.
[6] M. Lage, Hispano-Suiza in Aeronautics, p. 258.
[7] Rapport cité, p.8.
[8] Nous suivons ici les indications d’un document russe : « From BMW VI to M-17 », en ligne sur le site airpages.ru.
[9] Salez, La Technique Moderne, vol. XXX, p. 292.
[10] Tome II, p. 24.
[11] L’histoire des essais en vol, p.149.
[12] Danel & Cuny, l’aviation française de bombardement, p. 322.
Fort intéressant cet article.Je ne peux en aucun cas apporter un commentaire en relation avec vos recherches car la partie des moteurs diesel qui ont éveillé mon attention étaient les ‘polycarburants’. Cela dit, et loin de moi l’idée de vouloir réduire le rôle des uns vis à vis des autres en matière d’évolution d’engins de cette nature, il est évident qu’Allemands et Américains étaient à la base de la recherche et que Russes à l’instar des Chinois n’ont jamais fait que de copier, reproduire etc…
Merci de votre commentaire. Venant du responsable de l’European Center of Military History, il constitue pour moi un encouragement.
Cela dit, n’êtes vous pas un peu restrictif en limitant à l’Allemagne et aux États-Unis les pays conduisant la base des recherches dans ces domaines, surtout à l’époque?
Dans les années 30, les moteurs polycarburants à la mode, abusivement assimilés aux Diesel, étaient me semble t-il du système Hesselman, d’origine suédoise, fabriqués sous licence en France par SOMUA et, aux États-Unis par WAUKESHA. J’ai cru comprendre que ce n’était pas une bonne piste.
Vos recherches sont intéressantes mais je me demande si le résultat n’est pas trop pointu pour le commun des mortels car finalement, le désir de faire passer les moteurs à ‘explosion’ d’un carburant volatile et inflammable à la première occasion (l’essence) pour un autre beaucoup moins dangereux (diesel) n’avait pour but que d’augmenter la durée de la séquence impact – explosion, dans le but de donner un peu plus de chance aux équipages. Cela est évidement relatif puisque les Tankistes allemands conseillaient à leurs chauffeur-chars de garder une balle pour eux … !
Sur les vrais diesel, il y avait d’autres enjeux : l’autonomie et aussi, fait moins connu, l’absence d’allumage électrique facilitant l’isolation des circuits pouvant parasiter les communications radios. Les moteurs système Hesselman ne présentent pas ces avantages annexes.
Je ne pense pas que l’on puisse tirer de conclusion quant à la « filiation » BMW de ce moteur à partir de la seule disparité des courses d’un banc à l’autre.
Cette disparité est en fait inhérente au système bielle-biellette : pendant que le parcours de l’axe d’articulation de la tête de bielle maîtresse est circulaire, celui de la biellette est elliptique, avec un grand axe plus important que le diamètre du cercle de base (diamètre égal bien entendu à la course du piston côté « normal »). La course côté biellette est donc supérieure à celle d’en face…
Le seul moyen d’éradiquer cette disparité est de disposer les bielles de façon concentrique sur le maneton du vilebrequin : bielles à fourches ou bielles décalées, i.e. placées côte à côte.
Or le système bielle/biellette a été utilisé sur un grand nombre de moteurs en V dans les années 20 et 30 : Panhard, Renault, Lorraine…et Hispano-Suiza, dont les ultimes versions du 12 Y ont connu les deux variantes !
(A noter que cette disparité des courses affecte aussi tous les moteurs en étoile à bielle maîtresse, i.e. la quasi-totalité).
Néanmoins, il faut reconnaître que nombre de dispositions de ce moteur V2 sont totalement étrangères à Hispano, y compris des caractéristiques aussi essentielles que le montage des chemises humides, les culasses détachables (les ensemble cylindre/culasse sont monoblocs chez Hispano) ou encore la fixation des paliers de vilebrequin, sans parler de l’entraînement des 2 arbres « montant » qui animent les ACT.
Par contre est visiblement pompée chez notre motoriste national le vissage de plateaux dans les tiges de soupapes pour en assurer le réglage de jeu…
Merci beaucoup pour ce commentaire aussi compétent qu’argumenté.
Vous montrez que l’asymétrie remarquée n’est qu’une indice,et non une preuve de la filiation BMW. Vous illustrez aussi le phénomène d’hybridation, avec les emprunts à Hispano/Klimov.
Au delà de l’indice relevé, ma thèse s’appuie aussi sur le M17, comme précurseur commun du V2 et du M35, à la fois vraisemblable vue la cylindrée, la diffusion du M17 comme moteur de char et son évocation dans la littérature. L’équipe de Kharkov est donc , selon toute vraisemblance, parti de cet existant, à dieseliser et améliorer par divers emprunts.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, je pense donc que la conclusion de l’enquête menée dans mon article peut être maintenue.
Quel carburant utilisait les T 34 sachant que le gas oil a une s’entraîne tendance a fige. Peut estre un melange avec du petrole ou kerozene .
Bonne question, à laquelle je n’ai pas de réponse.
L’ajout de kérosène pouvait effectivement être une solution.