Forces et faiblesses des armements aériens : puissance et protection

Avec le canon Hispano-Suiza 404, l’Armée de l’Air disposait,  avons-nous vu, de l’arme d’aviation la plus puissante de l’époque, dont l’efficacité se trouvait toutefois hypothéquée par des difficultés de fonctionnement et un système défectueux d’alimentation. Dès le 3 février 1940, le général Têtu pourra ainsi constater que « le canon ne parait pas avoir donné les résultats attendus »[1]. Au-delà de ce constat, on peut s’interroger sur la possibilité de caractériser plus précisément la puissance et l’efficacité de l’armement des chasseurs français, par rapport à celui de leurs adversaires ou alliés. Munis des outils de mesure proposés dans la littérature, nous pourrons évoquer le débat sur les possibilités, non exploitées, de compléter nos armements aériens par des mitrailleuses lourdes, dont l’expérience américaine allait montrer l’efficacité. A côté du choix des armements, l’adoption de dispositifs de protection, blindages et parebrises à l’épreuve des balles, conditionnait également la capacité des appareils français à livrer combat avec succès.

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Puissance comparée de l’armement : quelle place pour les chasseurs français ?

Diverses mesures ont été proposées pour mesurer la puissance de l’armement d’un avion. Par définition, ces mesures ne peuvent constituer que des approximations, privilégiant telle ou telle caractéristique des projectiles envoyés en direction d’une cible. Sans développer ici l’ensemble de cette question, nous retiendrons trois mesures parmi les plus courantes, et les plus pertinentes :

-en premier lieu, le poids des projectiles envoyés par seconde ;

-en second lieu, une mesure directe de puissance, l’énergie totale par seconde ;

-enfin, une mesure synthétique d’efficacité prenant en compte le pouvoir explosif ou incendiaire de ces projectiles, l’indice d’efficacité de Williams & Gustin. 

Un ouvrage de référence

Quelques définitions

La puissance totale s’obtient en partant de l’énergie à la bouche d’un projectile de poids p tiré à la vitesse initiale V0 :

E0= 0,5*p*(V0)2

Laquelle, multipliée par la cadence de tir n -nombre de coups par seconde-donne la puissance d’une arme particulière i,

Pi=Eo*ni

La puissance totale de l’armement d’un appareil, exprimée en kilowatt s’obtient alors en multipliant par le nombre d’armes semblables et en additionnant la puissance d’armes différentes.

Cette définition de la puissance présente deux défauts comme mesure de l’effet destructeur d’un armement. D’une part, elle surestime l’impact de la vitesse d’impact sur les dégâts causés à la plupart des structures d’avion ; d’autre part, elle méconnait la contribution spécifique de projectiles incendiaires ou explosifs. Tenir compte de ces facteurs relève de la gageure, c’est pourtant ce qu’ont proposé A. Williams et E. Gustin[2] en définissant une mesure d’efficacité associant une contribution cinétique, la quantité de mouvement, produit de la masse par la vitesse (et non le carré de la vitesse) et un facteur mesurant la contribution des composants explosifs ou incendiaires, approché par l’expression suivante :

Facteur de contribution chimique=1+(10*le % de composant explosif ou incendiaire dans le poids du projectile).

Impacts d’obus de 20 mm sur un Léo 45 du GB II/12, source : Icare, n°57

Ainsi, un projectile contenant 5% de substance explosive ou incendiaire verra son efficacité augmentée de (10*5%), soit 50% par rapport à un projectile inerte, à effet seulement perforant. Ce facteur peut atteindre des valeurs élevées, comme dans le cas de l’obus allemand de 20 mm Minengeschoss dont la teneur en explosif de 22% triple l’effet destructeur tel que défini par Williams et Gustin. En revanche, la faible teneur (2%) de la balle explosive standard de la mitrailleuse américaine de 12,7 limite à 20% son gain d’efficacité par rapport à la balle ordinaire. E. Pilawskii[3] a récemment proposé de transposer la mesure d’efficacité de Williams et Gustin, qui s’applique à un projectile, en introduisant la cadence, ce qui donne un effet destructeur par arme et par seconde, que l’on peut donc agréger pour obtenir une évaluation de l’efficacité de l’armement d’un appareil.

Une évaluation comparative

Combinant des effets d’ordre très différents, les mesures proposées par Williams & Gustin et Pilawskii sont à considérer comme des approximations fragiles, qui ne peuvent donner que des ordres de grandeur. Les auteurs relèvent toutefois que leurs résultats sont proches de ceux obtenus par les quelques expériences en vraie grandeur auxquelles ont pu procéder certains belligérants. C’est dans cette perspectives que nous faisons figurer ces mesures, recalculées sur la base de données qui peuvent différer des leurs, dans les tableaux suivants, relatifs aux principaux armements et chasseurs de 1940.

Tableau 1-Puissance et efficacité des armes

Les armes référencées sont la mitrailleuse MAC 34/39 de 7.5, la Browning anglaise de 7.7, la 7.92 allemande, la MAC de 11 mm, la MG131 de 13 mm, la Browning M2 de 12.7, la Browning-FN Herstall de 13.2, le MG-FF de 20 mm, ainsi que deux munitions pour HS404 de 20 mm. La puissance de chaque arme, en kilowatts, est calculée comme indiquée ci-dessus, ainsi que les mesures d’efficacité, la première dite de base, pour des projectiles inertes, la seconde, dite corrigée, en tirant des projectiles explosifs ou incendiaires. La puissance de chaque munition, pour un coup unique, est reprise dans la dernière colonne. Ce tableau fait apparaître la forte contribution de la correction pour e facteur  de « puissance chimique » de Williams et Gustin, qui permet au Minengeschoss de 20 mm de porter le MG-FF au premier rang des armes considérées en termes de pouvoir destructif.

Le tableau 2 mobilise ces résultats pour calculer des indicateurs de la puissance et de l’efficacité de l’armement de différents chasseurs de 1939. Deux appareils uchroniques sont introduits pour illustrer l’impact potentiel de l’adoption d’une mitrailleuse lourde dans la chasse française. La puissance résulte de la simple sommation des mesures par arme du tableau1. L’efficacité dite de base correspond à l’utilisation de projectiles inertes, l’efficacité dite corrigée à l’utilisation de projectiles explosifs ou incendiaires. On remarque ainsi le très net gain d’efficacité des Hurricane et Spitfire lorsqu’ils pouvaient disposer des balles incendiaires dites de Wilde[4], et des Me 109E tirant des Minengeschoss.

Pour faciliter l’interprétation, ces trois mesures principales sont ensuite présentées sous forme de ratio, en les rapportant aux Hurricane et Spitfire à 8 mitrailleuses, pris comme appareils de référence.

Tableau 2 : Puissance et efficacité, par appareil

La mesure calculée par Pilawskii montre une bonne convergence avec le résultat de nos calculs. Comme il s’agit d’une mesure moyenne, supposant l’usage d’un mix de munitions, il est normal que cet indicateur se situe entre nos valeurs respectivement dites de base, et corrigées. Encore une fois, au-delà du résultat précis d’un calcul, il convient de rappeler le caractère purement indicatif de ces mesures. Il faut aussi noter que les munitions les plus efficaces, cartouches incendiaires De Vilde et obus Minengeschoss, qui dopent respectivement l’armement des chasseurs anglais et des Bf 109E, n’étaient disponibles qu’en quantité limitée.

Les résultats relatifs aux appareils français paraissent impressionnants : Le Morane 406 lui-même bénéficie d’un avantage de 32 à 57% sur les Hurricane ou Spitfire et de 22 à 44% sur un Me 109E ne disposant pas d’obus à fort contenu d’explosif et la marge d’avantage du Bloch 152 sur les chasseurs anglais dépasse 100%. Ces résultats traduisent le gain de puissance que le canon Hispano conférait aux chasseurs français, dans la mesure du moins où les conditions de fonctionnement et d’utilisation de cette arme permettaient d’exploiter cet atout potentiel. A contrario, le classement le plus défavorable obtenu par le Curtiss H75A1 illustre bien la faiblesse d’un armement de mitrailleuses légères quand il n’est pas composé d’un nombre suffisant de pièces.

L’expérience des combats devait inverser ce classement. Les espoirs placés dans le canon Hispano ont été rapidement déçus, comme l’écrivait, dès le 3 février 1940, le général Tétu, commandant de la ZOAE de l’est : « le canon ne parait pas avoir donné les résultats attendus, tout au moins en chasse d’armée. Il peut être conservé s’il est monté dans l’axe du moteur »[5]. Paradoxalement, c’est l’appareil à l’arment le moins puissant, le P36, qui a obtenu les meilleurs résultats en combat aérien !

L’avantage conféré aux projectiles explosifs peut se trouver annulé si ces projectiles n’explosent pas, ou explosent trop tôt, à l’extérieur de la structure touchée à l’impact, qui se trouve criblée d’éclats sans pouvoir de pénétration. Contre les Sturmovik  soviétiques, largement blindés, les obus de 20 mm à fort contenu d’explosif étaient impuissants, il fallait utiliser les obus perforants prévus pour une utilisation antichar. On considère aussi qu’une cadence élevée assurant plus de probabilité d’atteintes qu’une arme puissante à cadence faible, convenait mieux à des pilotes d’aptitude moyenne. A. Galland fait d’un débat au sein de la Luftwaffe entre un as comme Mölders qui préconisait l’adoption d’un canon-moteur unique, plus précis, sur le Bf 109 quand ce montage fit techniquement maitrisé, à Galland lui-même recommandant de conserver l’équipement de 2 canons, tous les pilotes n’atteignant pas le même niveau de précision[6].

Comme nous l’avons vu précédemment, ces mesures théoriques doivent être confrontées à d’autres facteurs, à commencer par la fiabilité et la régularité de son fonctionnement, par l’abondance et la régularité de son alimentation en munitions, par la qualité des organes de visée et de pointage et enfin, last but not least, par le niveau d’entrainement des pilotes non seulement au pilotage en général, mais plus particulièrement au tir aérien, une dimension souvent sacrifiée de leur formation. Ce n’est pas par hasard que le GC I/5 a obtenu le meilleur score de tous les groupes français en 1939-1940. On peut relever qu’il avait remporté le concours de tir de l’Armée de l’Air en 1938.

Le double constat d’une puissance insuffisante des mitrailleuses de 7.5 mm et des dysfonctionnements rencontrés avec les canons de 20 mm conduit à s’interroger sur l’absence des mitrailleuses lourdes de la gamme des armements dont disposait l’Armée de l’Air.

Les mitrailleuses lourdes, un atout absent de l’arsenal de l’Armée de l’Air ?

Si les prescriptions très détaillées concernant les mitrailleuses légères constituent l’essentiel de la note-programme de 1921, ce document stipulait également que : « il devra certes être prévu aussi des mitrailleuses de gros calibres sans qu’il puisse être encore précisé si elles devront être réalisées dans tous les types énumérés ci-dessus …Les conditions à réaliser avec leurs munitions devront être de perforer en tir normal à 1000 m une plaque de blindage de 7 mm, tracer jusqu’à 1000 m et d’avoir  jusqu’à la même distance des propriétés incendiaires contre Drachens et essence ».

Cette dernière prescription traduit bien l’expérience de la guerre, qu’il convient d’évoquer pour comprendre la genèse des mitrailleuses de gros calibre. En premier lieu, constatant l’inefficacité du tir des mitrailleuses standard, dont les balles traversaient l’enveloppe des Drachens et autres Zeppelins, on eut l’idée d’utiliser des balles du calibre 11 mm, qui avait précédé le 8 mm Lebel, pour organiser des projectiles incendiaires. Les balles Desvignes reprenaient ainsi les caractéristiques balistiques des balles Gras,  la perte de tension de la trajectoire ne présentant pas un inconvénient majeur puisqu’il s’agissait d’atteindre un objectif de grande surface et peu mobile. L’accroissement du calibre, et donc du poids, étant compensé par la réduction de vitesse initiale, l’adaptation des mitrailleuses standard, comme la Vickers alors la plus courante sur les avions alliés, ne posait pas de problèmes, et cette transformation fut réalisée avec succès. 

Le programme d’armement aérien de 1936, source: CAAC, Châtellerault

 La seconde raison d’envisager des mitrailleuses de gros calibres devait déboucher sur un véritable défi technique. Pour répondre à la menace des chars alliés, Mauser développe en 1917 une munition de 13 mm à grande puissance, permettant le tir à près de 800 m/s d’une balle de 52 grammes. Alors que les Allemands mettaient en ligne de premiers avions blindés, des bombardiers Gotha, le général Pershing, commandant des forces américaines en Europe, exige que la mitrailleuse lourde en développement par Browning possède une munition aussi puissante[7]: c’est à son insistance que la célèbre mitrailleuse de 12.7 mm -ou 0.5 inch- devra sa redoutable efficacité. On conçoit que la mise au point d’une telle arme, devant absorber une énergie à la bouche 5 fois plus forte que les mitrailleuses de petit calibre, ait posé de délicats problèmes techniques que Browning, dans le contexte pacifique de l’après-guerre, mettra plus de 10 ans à résoudre complétement.

Des travaux dispersés, vers un calibre réglementaire de 11 mm ?

Conduits sans énergie, les travaux français vont également s’effectuer en ordre dispersé. Les manufactures nationales de Châtellerault et Saint-Etienne retiennent d’abord un calibre de 13.5 mm, avec des résultats qui, en 1929, laissent encore à désirer. En 1929, l’ingénieur général Reibel présente à la Commission de Versailles à la fois une version améliorée de la 13.5 de MAC et une nouvelle arme de 11 mm tirant une munition puissante. Aucun de ces modèles n’est en mesure d’être adopté en l’état. A défaut d’une solution acceptable du côté des manufactures nationales, c’est à la société Hotchkiss, forte des loyaux services rendus par  sa mitrailleuse d’infanterie pendant la Grande Guerre que l’on se tourne pour doter la cavalerie et la DAT ( Défense aérienne du Territoire) d’une mitrailleuse lourde en calibre 13.2. De ce fait, le développement des 13.5 est abandonné, mais la MAC poursuit la mise au point de sa mitrailleuse de 11 mm[8]. Le « Programme général du matériel de l’Armée de l’Air » du 1er Octobre 1936 stipule pour les mitrailleuses lourdes : « Le calibre de 11 mm est retenu…La vitesse initiale et la cadence seront les plus grandes possibles, sous réserve que le fonctionnement soit absolument sûr»[9].

Le choix du calibre dans le programme de 1936

L’alimentation prévue est de 250 cartouches par arme, par bande à maillons détachables ou par chargeurs. On note toutefois que cette arme ne reçoit qu’un rôle annexe, ou conditionnel : « dans la mesure où l’efficacité de projectiles légers aura été reconnue insuffisante (balles incendiaires, perforation de blindages par exemple) ». Le service de l’armement aérien ne peut que constater la lenteur de la progression des travaux de mise au point, en particulier pour l’étude d’un système d’alimentation par bande au lieu du système de chargeurs auquel Reibel reste attaché[10].

Ancienne et nouvelle cartouches de 11mm, source: Huon et Barrelier

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que ce ne soit qu’au printemps 1939 que la MAC mle 38 de 11 mm soit soumise à des essais approfondis. Pesant 15 kg, cette arme tire à 800 m/s une balle de 26 grammes. Si son fonctionnement appelle encore quelques améliorations, la cartouche doit être sérieusement renforcée : « la poussée donnée à l’arme en vue d’obtenir une cadence de 1000 c/mn environ est trop grande pour la résistance offerte par les bourrelets des étuis »[11]. Faute de temps, et d’une priorité perçue pour ce type d’arme, la mise au point nécessaire ne sera jamais effectuée. Notons que la Manufacture de Levallois, ateliers Hotchkiss nationalisés, avaient aussi à l’étude d’une mitrailleuse de 11 mm et que les Etablissements Darne en présentèrent deux modèles, dont l’un à vocation anti-char donc chambré pour la munition puissante[12].

La MAC de 11mm, source: CAAC

Rétrospectivement, on ne saurait dire que le choix de calibre effectué en 1936 ait constitué un mauvais compromis. Mené avec plus d’énergie et de continuité, ce programme aurait pu déboucher sur une arme intéressante, de caractéristiques intermédiaires entre les 7.5 et 13.2.

Si le manque d’énergie et de continuité affectait alors de nombreux programmes, il traduisait en l’espèce la faible priorité attachée aux mitrailleuses lourdes, dont l’adoption demeurait bien hypothétique : « L’Armée de l’Air disposant d’une mitrailleuse légère parfaitement au point et d’un canon léger de 20 mm, la nécessité de la mise en service d’une arme de calibre intermédiaire ne s’est jamais imposée, avant la guerre, d’une façon évidente : les études d’armement étaient cependant poursuivies, particulièrement dans le calibre 13.2, mais aucune étude d’installation sur avion n’avait encore été commencée. Au surplus, l’arme adoptée n’était pas encore définie : 11mm, Hotchkiss 13.2 mm, ou même Browning 13.2 fabriquée par Herstall »[13]. Comme l’atteste ce document, l’absence de mitrailleuses lourdes de la panoplie de l’Armée de l’Air ne résultait pas de difficultés techniques, mais d’abord d’un choix délibéré pour le mix canon-mitrailleuses légères.

Des Browning de 13,2 pour l’Armée de l’Air ? 

La mitrailleuse Hotchkiss en calibre 13.2 mm, adoptée par la DAT, la cavalerie et la Marine Nationale avait fait l’objet d’une adaptation à cadence accélérée proposée à l’Armée de l’Air. « A la déclaration de guerre, un prototype avait effectué des tirs très satisfaisants, mais il restait à réaliser une bande souple permettant son installation sur avion »[14]. Il ne semble pas que les essais de cette mitrailleuse, devenue MLS, pour Manufacture de Levallois, après la nationalisation de ce département d’Hotchkiss, aient été poussés très loin. A défaut d’avoir pu remplacer le Mèle 1914 de8 mm comme arme réglementaire de l’infanterie, il n’apparaissait pas possible de consacrer la capacité des ateliers de Levallois à un autre programme de fabrication. En l’absence donc d’une solution nationale, la mitrailleuse Browning qui devait équiper massivement l’US Air Corps était proposée à l’Armée de l’Air par la Fabrique Nationale d’Herstall, filiale de Colt dans la banlieue de Liège. Produisant déjà la Browning en calibre 12.7  (et de 12.65 pour la Belgique), cette société l’avait aussi adaptée à la munition française de 13.2. Un rapport d’Octobre 1937 annonce qu’un exemplaire doit en être présenté pour essai au début de 1938[15]. Le 31 Octobre 1938, confronté au retard prévisible dans la sortie des canons Hispano, « l’Ingénieur général Lemoine demande alors au général Keller s’il peut accepter, à la place de canons, des mitrailleuses de 13 mm qui tirent 750 coups/minute. Le général Keller répond que cette mitrailleuse ne possède pas de balles explosives. L’IG Lemoine en convient, mais il fait connaître que la mitrailleuse Herstall possède une telle munition et tire 1000 coups/minute»[16]. L’idée est alors de réserver les canons Hispano à l’équipement des Morane 406, où les canons sont montés pour tirer dans l’axe de l’hélice, en remplaçant par des Browning les canons d’aile prévus sur les chasseurs Bloch. Vu les retards pris par la production de chasseurs et en conservant en service les HS9 au fonctionnement problématique, la production d’Hispano devait s’avérer suffisante. Un autre besoin de remplacement était lié à l’utilisation de moteurs excluant le montage de canons dans l’axe. Le 27 Janvier 1939, une note au Ministre enfonce le clou, en considérant que, du fait de la défaillance du HS 404 dans son état actuel, « le remplacement au moins provisoire, peut-être prolongé, des canons 404 est à envisager. Or Herstall a présenté une 13.2 qui se révèle comme une excellente arme à la suite des premiers essais encourageants. La maison Herstall qui, elle, tient ses engagements et dispose dès à présent d’un outillage puissant et au point pourrait fabriquer un nombre important de ces armes, avec 1000 cartouches explosives par arme, le complément des cartouches pouvant être fourni par la DFA. La solution ci-dessus consiste évidemment à opposer à Hispano une concurrence étrangère. Certes, cette solution risque d’être onéreuse, mais l’enjeu est tel que la question de la dépense ne vaut pas d’être posée [sic] au regard surtout du temps qui presse»[17].  En Mai 1939, parmi les éléments de réponse à un rapport critique de Laurent-Eynac, on peut lire : « Il eût été désirable de n’adopter qu’un type d’arme ; il a fallu monter sur les avions américains des mitrailleuses Browning et envisager la substitution partielle aux canons dont la production était insuffisante de mitrailleuses de 13.2 mm »[18].

On envisagea un moment d’armer de 4 13.2 le Dewoitine 521, version du 520 à moteur Merlin, qui ne fut pas suivi[19]. En revanche, lorsqu’en 1940 était prévu la production du chasseur Arsenal VG 32 à moteur Allison, seul un armement de 6 mitrailleuses de 7.5 fut envisagé. Les services compétents renoncent également à voir les P 36 achetés aux États-Unis garder la mitrailleuse lourde de capot équipant réglementairement les exemplaires adoptés par l’Air Corps, une erreur que souligne l’anecdote suivante: Recevant en Janvier 1940 Amaury de La Grange, sénateur en mission, le commandant Murtin, du groupe 1/5, groupe d’élite équipé de P36, « estime qu’il serait urgent d’envisager l’adoption de mitrailleuses lourdes. Le pilote Clark de la maison Curtiss lui a parlé d’une mitrailleuse de 12.6 [sic] à monter sur avion»[20]. Le constat de Murtin ne faisait qu’exprimer un enseignement majeur de la guerre aérienne de 1939-1940 : la puissante insuffisante des projectiles de petit calibre pour entrainer la destruction rapide d’un appareil, en particulier un bombardier multimoteur[21].

Nombreux impacts de balles sur ce Heinkel 111abattu pendant la Bataille d’Angleterre, source: H. Moore, site bbm.org

Cette impuissance relative était certes limitée sur les chasseurs anglais par le nombre des armes, mais les photos de Junker, Heinkel ou autres Dornier criblés de balles et pourtant restés assez contrôlables pour un atterrissage de fortune, attestent bien des limites de ce type d’armement. Remarque paradoxale, la Luftwaffe aurait plus souffert pendant la Bataille d’Angleterre si la RAF avait adopté l’armement des Hurricane belges, soient 4 Browning de 12.7 (en fait, 12.65 en calibre belge). Murtin se montre aussi plus lucide que les services techniques : il voit l’avantage du calibre 13.2 comme la possibilité de balles incendiaires efficaces, et non dans la recherche ambitieuse et coûteuse, à court terme illusoire, de balles explosives[22].

On ne trouve guère de trace d’intérêt des services officiels pour l’utilisation de mitrailleuses lourdes comme armement défensif des bombardiers, qui aurait été cependant particulièrement opportune. Seul, Félix Amiot, conscient de l’irréalisme de la solution officielle d’armement arrière de son bombardier A351-354 avec un canon de 20 mm, aurait proposé son remplacement par un jumelage de 13.2, solution effectivement bien préférable[23].

Ici avec 3 Darne, l’affut SAMM 190 aurait pu avantageusement recevoir 2 FN-Herstall de 13.2, source: Cuny et Danel

Comme sur bien d’autres points, le réveil, bien tardif, manque pour le moins de conviction. Qu’on en juge par cette rédaction alambiquée d’un procès-verbal du Comité du Matériel, le  26 Novembre 1938: l’Etat-major et les grands services concernés « feront connaître les grandes lignes de leur position à l’égard de cet important problème de manière à permettre la détermination de la ligne de conduite à suivre, la décision définitive pouvant être remise à un futur Comité du Matériel après étude détaillée de la question dans les différents services »[24]. Au vu de ce texte, qui pourra encore s’étonner de ce qu’aucun avion français n’ait été armé de mitrailleuses lourdes en 1940 ? Une étude sur l’Armement de l’Armée de l’Air, rédigée peu après la défaite, résume bien la situation : « L’Armée de l’Air disposant d’une mitrailleuse légère parfaitement au point et d’un canon léger de 20 mm, la nécessité de la mise en service d’une arme de calibre intermédiaire ne s’est jamais imposée avant la guerre […] Aucune étude d’installation sur avion n’avait encore été commencée […] Au surplus l’arme adoptée n’était pas encore définie : 11 mm, Hotchkiss 13.2, ou même Browning 13.2 mm fabriquée par Herstall »[25]. Toutefois, « l’expérience de la guerre confirme les points de vue suivants : les mitrailleuses légères malgré la concentration de feu qu’elles autorisent : cadence élevée, multiplication des armes, s’avèrent insuffisantes ». Aussi, « à partir de Novembre 1939, le GQG réclame sur tous les avions de chasse et également dans les postes défensifs des avions de bombardement des mitrailleuses lourdes »[26].

Quel fournisseur pour des mitrailleuses de 13,2 : les pistes belge et américaine 

Invitée par dépêche ministérielle du 23 Décembre 1938 « à procéder d’urgence à l’essai d’une mitrailleuse Browning de 13.2 pour avion, l’ETVS de Versailles fait rapport le 1er Février suivant de ses premières conclusions. Les performances obtenues sont inférieures à celles annoncées et la précision laisse mais « la sureté de fonctionnement et la résistance mécanique sont très satisfaisantes»[27]. Diverses modifications apportées par Herstall, en particulier sur l’adaptation arme-munitions, permettent d’améliorer la précision et de conclure à une possible adoption de la 13.2 Browning-Herstall. Le 5 juillet 1939, le Comité du Matériel s’accorde « pour pousser la décentralisation en France des usines Herstall »[28].

Une Commission d’armement, associant des représentants du Ministère de l’Air et du Ministère de l’Armement, prend acte le 23 Novembre 1939 que « les programmes de l’état-major de l’Armée de l’Air prévoient une mitrailleuse de 13.2 en tourelle». Dans la discussion qui s’ensuit, le représentant du Ministère de l’armement fait  observer qu’il n’y a pas de possibilités de fabrication en France de cette arme, ni de ses munitions. S’il convient de passer commande en Belgique, on ne peut ignorer les risques pesant sur la pérennité de cette source d’approvisionnement. Force est donc de se tourner vers les États-Unis.

Les relations directes avec Colt avaient d’abord visé  à sécuriser la fourniture de Browning de 7.5, utilisée sur les avions américains importés. Le 11 octobre 1939, il est convenu d’une commande de 1000 exemplaires« pour parer à toute éventualité », en clair à une interruption des fournitures par l’usine FN d’Herstall, près de Liège, sujette aux aléas militaires et politiques pouvant affecter la Belgique. Cette commande sera ensuite portée à 2100, pour permettre à Colt d’amortir son matériel. En l’absence de défaillance, Herstall continuerait à fournir 5 mitrailleuses, pour une livrée par Colt. Dans la précipitation, la démarche est étendue à la fourniture de mitrailleuses lourdes.

Le 1er janvier 1940, il est convenu que la Mission d’achat française à Washington engagera le 2 « les pourparlers avec Colt pour la fabrication de 13.2 de même encombrement que la mitrailleuse US de 12.7 ».  Le 6 Janvier Colt demande l’accord de Herstall pour produire sa version en 13.2 et dès le 17, Colt a fait tirer un prototype, muni d’un manchon agrandi à la main. Le 14 Mai intervient une commande de 250 exemplaires, en vue d’équiper 100 P40. A cette date en effet, on ne peut plus guère compter sur Herstall qui, en Avril, prévoyait la livraison de 50 13.2 en Mai, 100 en Juillet, 300 en Octobre puis 500 par mois à partir de Janvier 1941.

Sur un P36 américain, une 12.7-au premier plan- et une 7.62 de capot, source: Cuny et Beauchamp, Curtiss Hawk 75

 Fin Mai, sur un besoin évalué à 5000, il est prévu que Colt livre 2400 13.2 de Juillet 40 à Décembre 1941, l’usine franco-anglaise devant fournir entre juillet et décembre 1941 les 2220 exemplaires manquants. En Janvier 1940, on convient qu’il est urgent d’étudier le montage de la 13.2 sur avion, car 350 exemplaires doivent être livrés avant la fin de l’année. Finalement, le seul projet confirmé d’utilisation des Browning lourdes est l’équipement des P40, ainsi que des derniers P36, attendus des États-Unis.

Ces mitrailleuses lourdes font l’objet d’un intérêt partagé avec l’Air Ministry. Le 30 Avril 1940, les Anglais font cependant savoir qu’ils adoptent le calibre de 12.7, et non celui de 13.2, en service en France. Le programme d’armement franco-anglais du 30 Avril retient pour les avions français un besoin de 8280 7.5, 4180 13.2 et 2580 canons de 20. Il comporte le projet d’une usine commune pour fabriquer des Herstall, sans que l’on sache si le choix anglais du calibre américain interfère avec ce projet. On doit remarquer que ces commandes, aussi importantes que tardives, n’impactent pas les programmes d’avions nouveaux. Les nouveaux chasseurs en construction ou en projet pour 1941 comportent un armement combinant canons de 20 et MAC de 7.5 en nombre augmenté,  jusqu’à 8 sur les Bloch 1010 ou 1011. De même, la RAF a longtemps considéré que le surcroit de puissance des mitrailleuses lourdes ne justifiait leur adoption, même en remplacement des 4 mitrailleuses de 7.7 équipant les Spitfire V, en complément des 2 canons de 20 mm. C’est seulement en 1944 que fut adoptée la combinaison de 2 HS 404 et de deux Browning de 12.7. 

Et à l’étranger

La Luftwaffe avait également perçu l’utilité d’une arme plus puissante que les mitrailleuses d’infanterie. Commandée à Rheinmetall-Borsig, et essayée en 1938, la MG-131 ne devait être construite qu’à partir de 1940[29]. Tirant à 900 c/min et 710 m/s une balle de 38.5 grammes, elle était nettement moins puissante (60% environ) que les Browning ou Hotchkiss de 12.7 ou 13.2 et, de ce point de vue, plutôt comparable à la 11 mm développée en France. Cependant, légère et compacte, elle offrait un compromis intéressant comme arme de capot à loger dans un volume limité ou comme arme défensive des multiplaces. On notera que la Luftwaffe tardera à remplacer par la MG 131 ses mitrailleuses de 7.92 que l’on trouve encore par exemple sur les premières versions du Me 109G jusqu’à la fin de 1942. Si la MG131 manquait de puissance, c’est la faible cadence de leur Breda qui handicapait les chasseurs italiens.

L’absence de mitrailleuses lourdes parmi les armements de la RAF relevait d’un choix délibéré. La Browning de 7.7 mmm avait en effet été préféré à sa « grande sœur » de 12,7 jugée trop lourde et de cadence insuffisante[30].

Protection : blindages et parebrises résistants, une nécessité tardivement reconnue 

La piste des appareils blindés, explorée avec le  Dorand de 1913, s’était avérée une impasse. La double exigence de vitesse et de maniabilité qui s’était dégagée des combats aériens de la Grande Guerre conduisait à limiter au maximum le poids des appareils, au détriment de l’installation de dispositifs protecteurs. Les aviations alliées comme, de façon plus surprenante, la Luftwaffe, ayant négligé les enseignements de la Guerre d’Espagne devaient redécouvrir dans l’urgence l’importance des blindages comme de parebrises à l’épreuve des balles.

Une urgence : le blindage dorsal du siège pilote

Selon les termes du programme de 1936, « des sièges à dossiers blindés, pouvant se fixer à la place pilote de tous les avions seront étudiés avec le matériel avions »[31]. Cette prescription a dû être quelque peu négligée pour que le Comité du Matériel ait à acter, en avril 1938, « que l’ordre de reprise des études a été donné et que la DTI veillera à l’exécution des travaux »[32].

Parmi les « renseignements fournis par les aviateurs gouvernementaux sur la Guerre d’Espagne, on peut lire : « les pilotes estiment que les plaques de blindage qui recouvrent le siège arrière ont sauvé la vie à de nombreux pilotes»[33]. Cet enseignement est souligné par le général Armengaud, à partir de l’expérience des Polikarpov I15 Chatos russes : « le blindage réduit considérablement le nombre des chasseurs abattus; il diminue beaucoup le danger de l’attaque par surprise dans le dos, celle que craignent naturellement le plus les monoplaces  puisqu’ils sont aveugles vers l’arrière. Il contribue ainsi à augmenter la puissance offensive d’une aviation tout entière»[34].

Blindage dorsal sur un Bloch 152, source: Joanne, Le Bloch MB152

Finalement, c’est seulement en Septembre 39 que les blindages de siège pour Morane 406 sont mis en fabrication[35]. Le 6 Octobre, Vuillemin décide d’équiper 6 groupes et demande que soient « données toutes instructions utiles aux commandants des formations intéressées, pour que l’équipement des Morane en plaques de blindage soit effectué dans les délais les plus courts »[36]. N’était-il pas possible d’y penser plus tôt ? Notons au passage que la RAF ne fera pas mieux, l’équipement des Hurricane  n’étant pas achevé avant juin 40. La Luftwaffe équipera ses chasseurs dans l’urgence à la veille de la Bataille d’Angleterre[37], retard et l’Air Corps attendra 1941 pour protéger ses P40.

Selon le récit du Capitaine Williame, « une équipe spécialisée vint aussi nous monter des plaques de blindage derrière notre siège. Il lui fallait trois jours par appareil et elle immobilisait trois avions à la fois. Le Capitaine Daru, tout content, fit apporter à la butte de tir une de ces plaques, un fusil-mitrailleur, convoqua les pilotes, et je ne sais plus qui envoya une balle perforante, au passage de laquelle la plaque de blindage ne fît nulle opposition…On essaya une balle ordinaire, elle fût arrêtée. Alors, le Capitaine Daru joua au quitte ou double. Il fit donner une légère inclinaison à la plaque et tira à nouveau une perforante : elle fut arrêtée »[38]. Comme le montre ce témoignage, à coté de leur capacité objective à réduire des pertes, ces blindages avaient un effet psychologique important, en suscitant la confiance des pilotes, comme le relate Marcel Verrier : « Je suis protégé […] derrière ma nuque et le dos par une solide plaque de blindage en acier. Je puis attaquer sans trop d’appréhension »[39]. En juin 1940, il y a un stock suffisant de dossiers blindés prévus pour VG 33 pour en équiper les MB 155. 

Toutefois, dès les premiers combats, il était apparu que les blindages « étaient nécessaires non seulement pour les pilotes, mais aussi pour les mitrailleurs arrières (Potez 63) étant donné le sens des attaques »[40]. Une directive de Vuillemin, du 19 Octobre, « compte tenu des premiers enseignements de la guerre, définit les divers équipements à réaliser et fixe un ordre d’urgence » : chasse, observation, reconnaissance, bombardement, « la protection vers l’arrière, en commençant par la protection du pilote, étant réalisée en priorité »[41]. Au 15 Janvier 1940, il apparait que nombre de blindages ne sont pas encore définis, notamment pour la protection arrière pour mitrailleur sur Potez 63-11, Amiot 351, tandis que des retards s’accumulent pour l’équipement des Léo et Breguet. Par exemple, « la commande de blindage pour le canonnier du Léo 451 n’est passée que le 29 Avril 1940. Délai de livraison pour les 50 premiers : 1 mois ; soit début Juin. La maquette de blindage arrière a été acceptée le 16 Février 1940 »[42]

Affut jumelé avec protection du mitrailleur prévu sur Bloch 174, source : CAAC

L’équipement des Potez de renseignement intervient aussi après la mobilisation. Les sièges blindés montés sur les Potez 630-631-637en application d’une décision du 1er octobre posent problème : « depuis l’application de cette modification, les casques des pilotes ayant un buste élevé touchent sous l’habitacle, ces sièges étant légèrement plus hauts que les précédents et n’étant pas galbés »[43], une modification doit donc être prescrite. Le 28 novembre, l’EMG fait connaître les 8 groupes prioritaires pour recevoir chacun 5 plaques de blindage pour mitrailleurs sur Potez 63-11[44].

La question des blindages est aussi un sujet récurrent pour la mission French Air, qui suit l’équipement des appareils achetés aux États-Unis. Le 14 octobre 39, des instructions sont données pour la protection par la Maison Superflexit des réservoirs d’aile des Curtiss montés en France[45].

Publicité pour le procédé SEMAPE, source: L’Aéronautique

Le procédé Superflexit, couvert par des brevets de Poberejsky, consistait à entourer un réservoir métallique d’une membrane souple à base de caoutchouc, sensée se refermer après le passage d’une balle. La mission French Air envisage la cession de licence Superflexit aux États-Unis, avant que des instructions de Paris prescrivent d’y renoncer, la protection des réservoirs des avions américains devant être effectuée en France, pour économiser des devises.  Sur Glenn et Douglas, « le principe du blindage pilote et mitrailleur en tôle de 7mm n’a été admis que le 9 Mai 1940 »[46], il devrait peser 40 kg pour le pilote et 43 pour le mitrailleur. Par ailleurs, « le  blindage des ailes, formant protection des réservoirs, est constitué par des plaques de diverses épaisseurs fixées sur le revêtement même de l’aile », pour un poids s’élevant à 500 kg par appareil[47]. Sans surprise, cette solution ne semble pas convaincante, puisqu’il est noté le10 avril que « s’il est admis que la protection des réservoirs ne peut-être qu’en caoutchouc, le dispositif à employer n’est pas encore adopté »[48].

 Les parebrises blindés

Dowding, en charge du Fighter command,  insiste pour que les Nouveaux Hurricane et Spitfire soient équipés de parebrises blindés : « Si les gangsters de Chicago ont des parebrises blindés pour leurs voitures, pourquoi pas mes pilotes pour leurs  avions ?»[49]

On remarque  le cerclage du verre blindé, rapporté sur le parebrise de ce Spitfire début 1940, source: H.K. King, Armament of British Aircraft

Le 7 Décembre 1939, le général Bouscat fait état d’essais comparatifs de verres blindés français et anglais. Les tri-triplex français exigent 3 couches pour être efficaces. Les verres anglais apportent une meilleure protection que les tritriplex français à 2 éléments avec de bien meilleures qualités optiques (transparence 90% au lieu de 55%). Les tritriplex à 3 éléments sont plus résistants que les verres anglais, mais plus lourds (120 kg au m2 au lieu de 94), avec des qualités optiques très inférieures.  On propose de retenir les verres anglais pour la glace centrale, en raison de ses qualités optiques, et des tritriplex en 3 éléments pour les glaces latérales[50]. Premier appareil français équipé d’un parebrise à l’épreuve des balles, le Bloch 155 reçoit un panneau frontal en [tri-]tri-triplex « de 40 mm à l’épreuve des balles, sans montant apparent et légèrement plus incliné que les modèles précédents »[51].

L’absence de parebrises à l’épreuve des balles devait être particulièrement ressentie par les pilotes de P36, ne disposant que de 7.5 mm et donc obligés d’attaquer les multimoteurs allemands à courte distance. Si le Capitaine Accart survécu, blessé, à un projectile ayant traversé son parebrise, un autre as du GC I/5, le sergent-chef Morel, n’eut pas cette chance.

Effet d’une balle de 7.92 sur le P36 du capitaine Accart (à droite sur la photo, à gauche, le lieutenant Rey), faute d’un pare-brise blindé, source: yves-michelet.overblog.com

La commission d’armement du STA, réunie le 23 Novembre 1939, prend acte au sujet des verres tri-triplex que « la protection parait intéressante. Toutes réserves sont faites sur ses qualités optiques. Des échantillons Pyrex et d’origine allemande sont à l’étude »[52].

La commission réunie le 8 Février 1940 à Toulouse pour évaluer la situation du D 520 estimait que la réalisation d’un pare-brise blindé, à peine ébauchée, demanderait certainement un minimum de 2 mois[53].  Le 5 Mars, M. Dewoitine a dit au ministre que seule « resterait à résoudre la question du pare-brise blindé ». Interrogé sur la position de l’Etat-major, Bergeret indique qu’il « ne demande que la glace de face »[54].   

L’urgence des besoins devait conduire la mission French Air à commander des parebrises Safety Glass le 31 mai[55].

Le rapport précité, d’après l’armistice, parait sur ce point soucieux de valoriser l’action des autorités : « Un très gros effort a été réalisé au cours de la guerre pour augmenter l’efficacité des blindages (qualité des aciers) et en généraliser le montage. Tous les sièges pilotes sont blindés, les mitrailleurs sont protégés vers l’arrière, les verres blindés sont définis et sont en cours de montage sur avions de chasse au début de la campagne de France ».[56] 

 Et Si…                                                                 

Dans la perspective uchronique du Grand Sursaut, il convenait d’abord, avons-nous vu, d’assurer le fonctionnement et l’alimentation correcte du canon Hispano et des mitrailleuses MAC de 7.5 qui constituaient l’essentiel des armements aériens français. Au-delà, la principale perspective de renforcement de ces armements résidait dans l’adoption de mitrailleuses lourdes, dont l’intérêt aurait été reconnu. Le choix pratique devait alors porter sur la mitrailleuse Browning-Herstall en calibre de 13.2. D’abord commandé en Belgique, ce matériel aurait fait l’objet d’une construction sous-licence. Comme le montre l’annexe ci-dessous, un projet semblable, portant sur des mitrailleuses légères, a bien historiquement fait l’objet de négociations. Plus peut-être que sur les mitrailleuses, la difficulté aurait porté sur la fabrication des munitions. Au vu des difficultés de production des balles explosives, la priorité aurait été de produire rapidement des balles perforantes-incendiaires, transformant une part du pouvoir perforant en excès par rapport à la majorité des cibles aériennes alors susceptibles d’être prises à partie en une capacité incendiaire très supérieure à celle que pouvaient comporter des balles de petit calibre. Les affûts SAMM De Boysson 190 et 170 des Amiot et Léo 451 auraient avec profit vu remplacer leur canon Hispano par un jumelage de Herstall. Ceci supposait toutefois que des essais menés dans des conditions assez réalistes aient établi la faible efficacité des canons Hispano en position défensive, malgré leur pouvoir destructeur, du fait d’un approvisionnement défectueux, d’une cadence trop lente, et d’un encombrement réduisant leur maniabilité. Les affûts SAMM, lourds, coûteux et redondants pour deux mitrailleuses auraient ultérieurement du faire place à un dispositif plus simple et plus maniable. L’équipement des Bloch 153U, dans le scénario contrefactuel, par ces mitrailleuses aurait libéré la part correspondante des canons HS 404 construits pour équiper les chasseurs à moteur en ligne, dans ce cas LN 162 et dérivés. Cet équipement supposait que les caissons d’aile soient redéfinis pour héberger des bandes de projectiles avant le lancement de la série, pour éviter une modification ultérieure, pénalisante en termes industriels. 

Il était trop tard en 1937 pour accélérer utilement le processus de mise au point et de production de la MAC de 11 mm.  Pour porter ses fruits, une telle décision aurait dû être prise au moins deux ans plus tôt. L’enjeu d’une telle mesure était certes limité pour l’Armée de l’Air, mais beaucoup plus important sur le plan interarmes. L’Armée de terre était à la recherche d’une mitrailleuse de puissance intermédiaire pour  remplacer comme arme de DCA de l’infanterie et de l’artillerie ses Hotchkiss 1914 complètement démodées. Sa décision en faveur d’un troisième calibre, de 9mm, était particulièrement inopportune. L’argument retenu, que ce calibre conduisait au maximum de poids et d’encombrement acceptable pour l’infanterie, devait voler en éclat en 1939 lorsque l’on acheta dans la précipitation quelques centaines d’Oerlikon de 20 mm pour les divisions d’infanterie. Un même organisme, la Direction des Fabrications d’Armement, fournissant les forces terrestres comme l’Armée de l’Air, aurait pu peser efficacement pour rationaliser ces choix. D’un poids de seulement 15 kg, peu différent des 11,5 de la Hotchkiss de 8 mm[57], la MAC 38 de 11 mm aurait pu se substituer à cette arme dépassée pour équiper la section de 4 pièces à vocation antiaérienne de la compagnie d’accompagnement, assurant à chaque bataillon d’infanterie une réelle capacité de défense contre les avions d’observation ou d’attaque.

Annexe : Les projets de fabrication de Browning en France

 

Notes et références

[1] Lettre en date du 3 février 1940 du général commandant la Zone d’Opérations Aérienne de l’Est [Têtu] au général commandant la 1ère armée aérienne [Mouchard], SHD AI 3D 497, p.7.

[2] Anthony Williams et Emmanuel Gustin, Flying Guns of WWII, pp. 329-330.

[3] Erik Pilawskii, Fighter Aircraft Performance of WW2, A Comparative Study, pp. 27-28.

[4] Faute de données, nous n’avons pu tenir compte des balles incendiaires de 7.92 qui constituaient un atout pour la chasse allemande.

[5] Lettre en date du 3 février 1940 du général commandant la Zone d’Opérations Aérienne de l’Est [Têtu] au général commandant la 1ère armée aérienne [Mouchard], SHD AI 3D 497, p.7.

[6] A. Galland, Jusqu’au bout sur nos Messerschmitt. Cette traduction partielle et parfois contestable de l’ouvrage original , « Die Ersten und die Letzten » a été suivie d’une édition française complète et rigoureuse par Yves Michelet, « Les premiers et les derniers, les pilotes de chasse de la Deuxième guerre mondiale », DL 1985.

[7] Cf. Georges Chinn, The Machine Gun,  p. 332. Les Américains attribuaient à un avion blindé la mort en combat aérien de Quentin Roosevelt, fils de l’ancien président.

[8] Un rapport de Versailles en Février 1932 fait ainsi état de diverses ruptures de pièces lors d’essais. 

[9] In SHAA 431 2H3 25.

[10] Rapport « Etat d’avancement des études d’armement aérien », Octobre 1937, p. 16, SHD Air 3B7.

[11] Cf. rapport du 26-04-1939, SHD CAAC 431 2H3 25.

[12] Cf. Chinn, Op. cité, p. 388. En 1923, Régis Darne annonce au ministère l’envoi d’un spécimen adapté à la nouvelle cartouche. En octobre 1925, des pièces constitutives de cette mitrailleuse sont présentées à une mission de la MAS, Huon et Barrelier, op. cité, p. 123. Aucune information n’est disponible sur d’éventuels essais.

[13] Armement de l’Armée de l’Air, doc. cité, SHD AI 2B167, p. 6.

[14] Inspection Générale de l’Armée de l’Air, Armement de l’Armée de l’Air, document postérieur àl’armistice, SHD AI 2B167, p.6.

[15] Par la filiale française d’Herstal, la Manufacture d’Armes de Paris. Cf. Etat d’avancement des études d’armement aérien, Octobre 1937, SHD AI 3B7. La MAP est vendue en 1938 à Hotchkiss qui l’acquiert  pour produire des machines à écrire, vue la reconversion imposée  par la nationalisation des fabrications d’armement

[16] PV du CoMat 31-10-38

[17] Note pour le ministre 27-01-39, SHD 11Z12939.

[18] Cf. Fonds Thouvenot, carton Z11608.

[19] PV du CoMat 10-03-39

[20] Rapport de mission du sénateur de la Grange, SHD 2B2 ;

[21] Dans son rapport sur les enseignements de la Guerre d’Espagne en Avril 1939, le 2ème bureau avait signalé la préférence des pilotes gouvernementaux pour des mitrailleuses lourdes, à défaut de canons. SHD 2B79, cité par M. Astorkia,  Les leçons aériennes de la Guerre d’Espagne, Revue Historique des armées, p. 158.

[22] Réponse au Député Paul Rives, 14-02-40, in SHD 1D4.

[23] Cf. Cuny et Danel, Léo 45, Amiot 350 et autres B4, p. 334.

[24] PV du CoMat 26-11-38

[25] Inspection Générale de l’Armée de l’Air, sans date (postérieur à Juin 1940),  SHD 2B167, p.6.

[26] Ibid. pp. 9-10.

[27] SHD AA carton 431 2H3 25.

[28] 1B6

[29] Cf. Chinn, op. cité, p. 457.

[30] Goulding, Interceptor, p. 63.

[31] Document cité, p. 36, SHAA 431 2H3 25.

[32] PV du CoMat 15-04-38.

[33] Note 2ème bureau de l’EMAA, avril 1939, p. 16.

[34] La Guerre d’Espagne, technique et tactique des forces de l’Air, Revue Militaire Générale, Mai 1938, pp. 437-438.

[35] PV du CoMat 19-09-39

[36] Courrier du 6 -10-39,in SHD 2B165.

[37] D. Isby, The Decisive Duel, p.160.

[38] L’escadrille des Cigognes, p. 113.

[39] M. Verrier, 14 juin 1940, défendre Tours, Icare, La Bataille de France, Automne-hiver 1970, p. 102.

[40] Note de l’Inspection technique pour la DTI, 10 Octobre 1939, in SHD 3B6.

[41] Inspection Générale de l’Armée de l’Air, note : Blindages, 2B167, pp. 2-3.

[42] Ibid. p. 4.

[43] EMG aux commandants d’armées et de régions aériennes, 3-12-39, in 2B166.

[44] Note EMG pour le 5e bureau, 28-11-39, in 2B166.

[45] Note EMG pour la Direction des Services, 14-10-39, SHD 2B165.

[46] IGAA, Note Blindage précitée, p.5.

[47] DTI, Note pour l’EM de l’Armée de l’Air, 12mars 1940, SHD 11 Z12940, p.2. La solution superflexit était à ce moment écartée.

[48] Note blindages précitée, p.5.

[49] Cité par Isby, The Decisive Duel, p. 64.

[50] PV du CoMat 7-12-39

[51] Joanne, Le Bloch MB 152, p. 44. 

[52] PV in CAAC carton 24 3F3 162.

[53] Rapport de la réunion du 12-02-40, SHD 2B165.

[54] Pv du CoMat 5-03-40.

[55] SHD 2B103.

[56] Doc. cité, p. 13.

[57] Hors affut et bandes de munitions.

[58] Cf. SHD, Fonds Guy La Chambre, 11Z12940.

[59] D’où la curiosité de machines à écrire produites par une Manufacture d’armes de Paris, ou plus couramment MAP.

[60] Liaison Air-Armement, Questions examinées au cours de la réunion du 22-04-40, in SHD 1D52.

[61] CAAC 278 2H2 79

6 réflexions sur « Forces et faiblesses des armements aériens : puissance et protection »

  1. Merci pour ce nouvel article. Il est moins déprimant que les autres, car la France n’y semble pas tellement en retard par rapport aux nations dominantes de l’époque, pour une fois.

  2. Bravo pour cet article fort bien documenté….
    Il semble que dans les années 1933-1935, une des raisons ayant contribué à la révision du concept douhétien des multiplaces de combat, est l’affaire dite « gifle de Cazaux », où des essais de tir réel avaient démontré que le vent relatif dépointait le tir des armes de bord de faible calibre lorsque ces armes n’étaient pas dans l’axe de l’appareil – ce qui est par définition le cas des armes sous tourelle !
    Avez-vous des lumières sur la chose ?

    • J’ai aperçu des articles sur la question dans la Revue de l’Armée de l’Air mais ne les ai pas travaillé.
      Je ne puis donc rien apporter de plus à votre hypothèse.

  3. Le 8 février 2021 à 17:42, par Yves Michelet (historien de la guerre aérienne en 1940)

    Bien entendu, cet article très intéressant mais fort complexe – comme son sujet – « appelle » bien des commentaires. Je regrette de ne pas avoir pu réagir plus tôt.
    Ainsi que je l’ai déjà fait par ailleurs sur ce site, je conteste énergiquement que le fameux canon français de 20 mm pour avions Hispano-Suiza HS 404 ait eu un fonctionnement défectueux. Le général Têtu (cité au moins DEUX fois sur ce point) s’est exprimé en ce sens mais c’était en février 1940. Avant le 10 mai, les combats aériens étaient sporadiques pour ne pas dire rares.
    Les auteurs de ce site ne semblent pas avoir conscience de la très grande importance du facteur « temps » en 1939-40 (de même qu’en 1940-45, période qui est en dehors de notre sujet), et leur connaissance du sujet est insuffisante : ils ont lu quelques livres, articles (insuffisants) ou documents d’archives et ils en tirent trop vite des conclusions simplistes ou dépassées.
    Voici des exemples : au début (de septembre à novembre ou décembre 1939), la Chasse française dominait clairement l’allemande grâce à la qualité remarquable de ses pilotes mais aussi grâce à des avions qui, dans l’ensemble, étaient nettement supérieurs aux Messerschmitt 109 D alors engagés « à l’ouest » par la Luftwaffe. Les Me 109 D avaient encore un moteur relativement faible de 680 ch et presque le même armement que les 100 premiers Curtiss H-75 de l’Armée de l’Air : 4 mitrailleuses légères. Les Morane 406 étaient encore aussi rapides (450 à 485 km/h selon les sources et les époques ; plutôt 450 à 460) que les Me 109 D (460 km/h) à moteur Junkers Jumo 210 D (le D est une coïncidence) de 680 ch alors que le moteur Hispano-Suiza 12 Y-31 du Morane 406 donnait 860 ch et que son armement d’un canon de 20 mm et deux mitrailleuses de 7,5 surclassait complètement celui du Me 109 D et même E-3 (grâce à sa qualité). Les vitesses de pointe sont valables uniquement à l’altitude idéale en fonction des réglages choisis, surtout pour le moteur, qui ne sont pas les mêmes des deux côtés.

    Malheureusement, la Luftwaffe a transféré ses très nombreux Me 109 E (employés d’abord contre la Pologne) « à l’ouest » vers la fin de l’année 1939. Équipés du moteur en ligne à injection Daimler-Benz (déjà !) DB 601 A d’environ 1 100 ch, les Me 109 E étaient nettement supérieurs aux deux chasseurs français déjà mentionnés et aux « Hurricane » de la RAF. Ce nouveau moteur allemand avait un gros avantage de puissance mais aussi d’autres avantages importants en combat, donnés par la formule à injection. Cet exemple montre que la nette supériorité des chasseurs français s’est transformée en infériorité en moins d’un mois, fin 1939. Seule la qualité des pilotes français leur a permis de tenir le coup. Les changements peuvent être très rapides grâce aux progrès techniques accomplis.

    La Chasse française a bénéficié de progrès comparables en juin 1940 et, sans l’armistice, elle aurait rapidement flanqué une raclée terrible et irrémédiable à la Luftwaffe. Cf. le remarquable combat du 9 juin 1940, un cas d’école, entre le GC I/3 (Dewoitine 520) et le II./JG 27, le IIe groupe de l’escadre de chasse allemande JG 27 (Messerschmitt 109 E-1 et E-3), deux unités très aguerries, ce qui est important pour la comparaison. Bilan de cette rencontre : six (6) Messerschmitt 109 abattus et perdus, et un D.520 posé sur le ventre mais récupérable. Il était rare qu’une unité de chasse de cette taille, comme un groupe de chasse français (26 à 36 avions) ou allemand (de 30 à 40), ou de n’importe quel autre pays, perdît 6 avions d’un coup. Bien sûr, ils ne volaient pas toujours à l’effectif maximal possible (16 à 28 avions selon les circonstances, voire moins à cause des pertes). Le terrible canon français qui équipait les D.520 (ainsi que 4 mitrailleuses) a certainement joué un rôle dans ce succès. Deux pilotes allemands furent tués, deux prisonniers et deux blessés, y compris le commandant du groupe, le capitaine Werner Andres. Les chasseurs allemands détruits étaient 3 Me 109 E-3, 2 Me 109 E-1 (sans canons ; 4 mitrailleuses légères) et 1 non précisé, E-1 ou E-3. Ce soir-là, ce redoutable groupe de chasse était assez démoralisé. Même l’auteur allemand Jochen Prien, plutôt nationaliste (pas nazi), qui publie une immense série de livres de grand format sur les unités de chasse allemandes (série à couvertures mauves), n’a pu faire autrement que de publier, dans son volume 3, les détails reproduits ci-dessus, c’est tout dire car, d’habitude, il préfère exagérer les succès allemands et réduire les succès français ou anglais.

    Le GC I/3, qui a connu un véritable triomphe ce 9 juin 1940, était le seul au combat sur D.520 le 13 mai, suivi du GC II/3 le 15 mai, et ainsi de suite à partir de début juin. Ce type de chasseur (le Bloch 152 aussi) équipait des groupes de chasse français de plus en plus nombreux, le plus vite possible, avec 34 avions chacun. Le Morane 406, qui avait participé à d’innombrables combats aériens, souvent avec succès, était en voie de disparition rapide et de remplacement par des chasseurs bien meilleurs mais presque tous armés, comme lui, du meilleur canon du monde : le HS 404 (qui équipait des centaines de Bloch 152 puis quelques 155, des centaines de Dewoitine 520 et les autres formidables chasseurs qui étaient sur le point de sortir en masse des usines (jusqu’à 600 par mois contre 140 ou 145 pour le Me 109, qui leur était très inférieur) : Arsenal VG-33, 36 et 39, Dewoitine D.523 et 524 fortement améliorés par rapport à l’excellent D.520, les formidables Dewoitine 551 et Bloch 157 (tous deux capables de dépasser 700 km/h, ils auraient été mis en service dès 1941 ; Messerschmitt 109 et « Spitfire » en était encore à 560 ou 570 km/h fin 1940) et d’autres, le cas échéant.

    Les combats de ce genre, désastreux pour les Allemands (il y en a eu d’autres), seraient rapidement devenus la règle (avec des exceptions et des pertes françaises) sans l’armistice, qui n’avait rien d’inévitable car les forces allemandes étaient épuisées elles aussi, probablement plus que les forces françaises, y compris la Luftwaffe : les politiciens et les généraux « terriens » français ont paniqué et perdu toute vision stratégique d’ensemble.

    Voici un autre exemple : la RAF avait choisi le canon français HS 404 dès 1936 pour équiper ses chasseurs et ce n’était pas un hasard ni un signe de solidarité anglo-française (pas avec les Anglais !) mais le résultat de comparaisons et d’essais, le tout très sérieux, dans l’intérêt bien compris de la RAF et de l’Angleterre. Toutes les armes de cette catégorie (mitrailleuses lourdes ou canons) existant dans le monde avaient été étudiées et le canon français était sorti largement vainqueur de cette compétition. La RAF n’a jamais regretté ce choix, bien au contraire, produisant cette arme remarquable dans six usines (6) britanniques et en équipant tous ses chasseurs et d’autres types d’avions, même des années après la guerre, dès qu’elle parvint à mettre au point leur montage dans les ailes (ce n’était pas évident) puis aussi dans la pointe du nez : Spitfire (2 canons, parfois 4), Hurricane (4), Typhoon (4), Tempest (4), Westland Whirlwind (4 dans le nez), Mosquito en version « Intruder » (attaque, pénétration : idem), Bristol « Beaufighter » (idem) et même l’énorme hydravion « Sunderland » employé, entre autres, pour combattre les U-Boote, les redoutables sous-marins allemands. (U-Boote est allemand et se prononce donc « Ou-Bôteu », pas comme de l’anglais – « You-Boutt » – contrairement à ce que veulent faire croire les analphabètes de nombreuses chaînes de télévision). Là aussi, pour l’armement des chasseurs de la RAF, le changement fut très rapide et très important par rapport aux faibles mitrailleuses de 7,7 mm qui avaient précédé. Février n’est pas mai ou juin, même pour les canons, tout spécialement quand on est en guerre.

    Il est évident que l’Armée de l’Air n’est pas restée inactive pendant trois mois, de février à mai 1940. Les défauts éventuels ont certainement été éliminés, au moins pour la plus grande partie. JAMAIS je n’ai lu la moindre critique du canon de 1940 par des pilotes de chasse français, qui regrettaient seulement de n’avoir que 60 obus à tirer, ce qui était le maximum à l’époque (chez les Allemands aussi, avec leur médiocre canon MG-FF). Les seuls défauts dont j’aie connaissance sont quelques explosions d’obus à l’intérieur du canon (effet du sabotage communiste par les prétendus « socialistes antifascistes et antinazis ») – je dis bien « quelques » – et le nombre de coups pouvant être tirés, au maximum 60, déjà mentionné.

    Un « petit détail » donne à réfléchir : contrairement à ce que disent différents auteurs, dont quelques-uns sont estimables, la Luftwaffe a subi de très lourdes pertes de Messerschmitt 109 durant la Campagne de France de 1940, et leur principal adversaire était évidemment la Chasse française, équipée, au total, d’environ mille chasseurs modernes (1 000). La RAF a engagé environ 100 « Hurricane » pendant 12 jours seulement (en compensant au fur et à mesure leurs très lourdes pertes), puis quelques dizaines le long de la côte jusque vers le 15 ou 20 juin, et aussi 250 « Hurricane » et « Spitfire » durant les 9 jours de l’évacuation de Dunkerque, où ils abattirent environ 90 à 100 avions allemands et non pas plus de 400 comme leurs pilotes l’ont prétendu (ils étaient excusables).

    Autre chose : l’obus allemand « Minengeschoss » de 20 mm tiré par les chasseurs allemands n’a été employé qu’au bout d’un certain temps (quelques semaines), dans la Bataille d’Angleterre, mais pas durant la Campagne de France. Je ne suis pas certain que cet obus ait fait merveille (si j’ose ainsi m’exprimer). La Luftwaffe s’est dépêchée de remplacer son médiocre canon MG-FF par le nouveau MG 151 dès qu’elle l’a pu (ce seul fait suffit à prouver que le MG FF n’était pas à la hauteur). C’était si urgent, vu la médiocrité du MG-FF, qu’elle a d’abord employé le MG 151/15, sur les premiers Messerschmitt 109 F, avec un faible calibre de 15 mm pour un seul canon monté dans l’axe de l’hélice puis, au bout de quelques mois, de 20 mm (MG 151/20). Je ne crois pas que les « Minengeschosse » aient, alors, été encore employés (?). Le canon MG 151/20 correspondait à peu près au HS 404 français mais avec environ deux ans de retard, ce qui est un retard énorme en temps de guerre. Sans l’armistice de juin 1940 dont elle n’était en rien responsable (au contraire), l’Armée de l’Air aurait, elle aussi, c’est évident, éliminé les petits défauts qui restaient et continué à perfectionner cette arme remarquable, unique.

    Quant aux mitrailleuses lourdes, j’en suis un partisan convaincu au moins pour les Curtiss H-75 ; le modèle américain d’origine, le Curtiss P-36 (à l’époque, P = Pursuit, chasse), était armé, outre les deux ou quatre mitrailleuses d’ailes de 7,62 mm, d’une mitrailleuse lourde de .50 (12,7 mm) et d’une légère de .30 (7,62 mm) montées au-dessus du moteur et tirant à travers le cercle balayé par les pales de l’hélice, évidemment avec un système de synchronisation évitant de tirer dans l’hélice. Plus tard, le P-36 passa, aux USA, à 6 mitrailleuses lourdes dans les ailes, enfin un armement vraiment efficace.

    L’État-Major français a sans doute voulu éviter de « multiplier » les mitrailleuses et les munitions de calibres différents en sus du canon de 20 mm. Cela aurait certes eu quelques inconvénients mais ils auraient été beaucoup moins graves que ceux entraînés par la faiblesse du calibre et de la force de frappe (« punch ») de toutes les armes des « Curtiss » français, tout spécialement une portée efficace très insuffisante qui forçait les pilotes de chasse français volant sur Curtiss (et aussi sur Bloch 151, pas 152) à s’approcher dangereusement des bombardiers allemands qu’ils attaquaient, et ils l’ont souvent payé de leur vie. Même le capitaine Accart, un chasseur et un héros incomparable, en a été victime, recevant une balle de mitrailleuse exactement entre les yeux et ne survivant que par miracle.

    L’État-Major n’avait raisonné que d’un point de vue purement théorique, à la manière des « technocrates » (ce mot était encore peu employé, voire pas du tout), sans tenir compte de ce qui se passait dans les combats aériens réels, avec un ennemi qui ripostait, voire attaquait le premier.

    Ce même capitaine Accart n’a pas caché, dans son premier et célèbre livre « Chasseurs du ciel », paru en 1941, qu’il enviait les pilotes de Morane 406 car eux avaient un redoutable canon de 20 mm, très efficace. J’ajoute : il leur permettait même de tirer à environ 400 mètres, en tout cas hors de la portée efficace des mitrailleuses défensives armant les bombardiers allemands.
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  4. Bonjour, tout d’abord félicitation pour vos articles qui sont impressionnants de réponses.

    Quelques questions:

    -1) Entre la Browning FN HERSTAL en 12,7 mm et en 13,2 mm, laquelle choisir et pourquoi ?

    -2) Remplacer les deux mitrailleuses d’ailes en 7,5 des LN-161 et des Dewoitines par une mitrailleuse Browning en 13,2 dans chaques ailes en plus du canon moteur , bonne ou mauvaise idée ?

    -3) Si la mitrailleuse Darne avait pu bénéficier des soutiens des services techniques pour sa mise au point, aurait elle pu devenir cette géniale mitrailleuse polyvalente, multi-calibre et disponible en version F.M pour l’infanterie ?

    • Mes excuses pour cette prise en considération tardive.
      1)le choix devait dépendre de considérations pratiques.
      Le calibre 13,2 était réglementaire dans la cavalerie et la DAT, d’où un argument de standardisation.
      Mon impression est qu’il n’y a pas d’argument décisif sur le plan balistique.
      Restent des considérations d’industrialisation, pour l’arme et les munitions.

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