« 22 septembre 1936, en pleine paix, la France perd la maitrise du ciel » : Par ces mots, Drix suggérait qu’en l’absence de l’accident survenu ce jour, la commande du chasseur LN 161 au lieu du Morane 406 aurait changé la donne, allant à ses yeux jusqu’à donner à la chasse française la maitrise de l’air pendant les affrontements de 1939 et 1940. Scénario limite, sans doute, mais qui introduit bien l’enjeu qu’aurait pu constituer l’adoption de cet appareil par l’Armée de l’Air. C’est cet objet d’uchronie que nous proposons d’examiner en envisageant un autre destin à ce chasseur qui était, comme nous l’avons vu, avec son compagnon d’infortune Gloster F.5/34, l’un des meilleurs prototypes issus des programmes de 1934.
Dans notre enquête sur de possibles arbitrages qui auraient différé des choix historiques, nous attacherons une importance particulière aux processus de décisions et aux circonstances qui ont conduit les responsables militaires et civils à agir dans un sens qui, rétrospectivement, n’apparait pas avoir été justifié.
Des Nieuport pour l’Armée de l’Air
Du fait de l’écart entre son potentiel et son destin malchanceux, le LN 161 apparait comme caractéristique d’une occasion manquée. Introduit et argumenté par Drix, ce point a été développé sur le Forum Fantasque Time Line/ 1940-La France continue la guerre, dans sa rubrique consacrée aux autres uchronies, sujet: Loire-Nieuport 161-La chasse française pendant la guerre.
Nous avons vu les éléments de supériorité du Loire-Nieuport 161sur le Morane 406 :
-largement : vitesse ascensionnelle, plafond, facilité de production et de maintenance, tenue des revêtements;
-significative : vitesse horizontale ;
-indéterminée ou nulle : maniabilité ;
-léger handicap possible en autonomie, compensée par l’élimination d’une difficulté à faire les pleins ;
Avantages et handicaps auxquels s’ajoutent des problèmes ne dépendant pas de l’appareil, en particulier en matière d’armement et de radio.
La réflexion uchronique ne peut se limiter à supposer que l’état-major et le Ministère aient fait « le bon choix » et à en décrire les conséquences heureuses pour la chasse française dans les combats de 1939-1940. Dans notre conception, l’uchronie doit expliciter un scénario contrefactuel justifiant ce choix différent et en développant les conséquences à partir d’un point de bifurcation, moment ou circonstance ou les évènements auraient pu prendre un tour différent.
En ce qui concerne le LN161, nous retiendrons deux périodes qui encadrent les points de bifurcation possibles, du moment où se constitue le handicap initial du Nieuport, au dernier moment où sa production pouvait être substituée à celle du Morane sans creuser les retards affectant le rééquipement de la chasse française. Nous limitons en effet à cet arbitrage différent les éventualités possibles, excluant le scénario de commandes parallèles significatives de ces deux appareils, comme cela a été le cas en Angleterre du Hurricane et du Spitfire.
Un premier scénario contrefactuel favorable au Nieuport découle du point de bifurcation suivant : sur intervention de l’ingénieur général Dumanois, directeur des Constructions Aériennes, soucieux du succès du programme de C1 qu’il a publié, la Société Loire-Nieuport est assurée de pouvoir disposer d’un moteur Hispano 12Ycrs pour son prototype Nieuport 160 en construction. Les radiateurs et capotage du prototype sont adaptés à ce moteur. On rappelle en effet que des moteurs de ce type avaient été disponibles pour équiper, avant même le Morane 405, les prototypes Dewoitine 510 dès aout 1934 et Mureaux 115 en mars 1935.
Ainsi motorisé, le Nieuport 160 qui vole en octobre 1935 dépasse la vitesse de 450 km/h exigée des appareils du programme. Ces essais sont interrompus en novembre, la voilure du prototype devant être dotée d’un dièdre pour améliorer la stabilité. Repris en mars, les essais, portant notamment sur la recherche d’une hélice mieux adaptée, permettent d’atteindre la vitesse de 478 km/h et de réaliser des performances de montée exceptionnelles pour l’époque.
Dès novembre 1935, la vitesse du Nieuport, dépassant d’au moins 20 km/h celle du Morane 405, l’aurait donc désigné comme le meilleur prototype issu du programme de 1934. Ayant débuté ses essais deux mois plus tôt, le Morane avait marqué les pilotes du CEMA, qui découvraient en lui leur premier chasseur moderne. En 1936, souhaitant se garder d’un choix prématuré, le ministère passait commande de deux préséries, chacune de 16 appareils, respectivement aux sociétés Morane-Saulnier et Loire-Nieuport. La construction des second et troisième prototypes du Nieuport était par ailleurs conduite aussi rapidement que le permettaient les grèves et troubles récurrents qui n’épargnaient pas même les ateliers de prototype en cette année 1936.
Dans ces conditions, l’accident de Cazaux le 22 septembre, qui devait couter la vie au capitaine Coffinet, pilote du CEMA, fut certes perçu comme un évènement pénible, mais qui ne disqualifiait en rien l’appareil, du moins tant que l’enquête ne révélait pas de problème majeur. Compte tenu de la priorité que lui valait son statut de favori, le Nieuport 161 -02, achevé en juin, volait en juillet 1937 et le prototype -03 en décembre. A titre de garantie répondant à une responsabilité possible des radiateurs dans l’accident du -01, ce dernier devait servir à la mise au point d’une configuration alternative de ces équipements, sur laquelle nous reviendrons.
Au printemps 1937 se pose la question d’une commande de série. Deux prototypes de Morane 405 volent alors, mais n’ont toujours pas atteint les performances du programme. De plus, les études de mise en production, comme la fabrication engagée de la présérie, révèlent que l’appareil présente de réelles difficultés de construction.
Certes handicapé par l’accident, le Nieuport 161 s’est révélé nettement plus performant et la constitution de la SNCAO, en janvier 1937, a rapproché Loire-Nieuport de l’ancienne usine Breguet de Bouguenais, usine récente qui offre les capacités nécessaires au montage en grande série de chasseurs modernes. Une donnée importante, rarement prise en considération dans les évocations de l’arbitrage entre MS 406 et LN161, concerne en effet les moyens industriels comparés des deux entreprises. Au lendemain de la nationalisation, les capacités de production de Morane reposent sur 850 employés, dont 520 productifs disposant de 128 machines-outils alors que les moyens de la SNCAO s’élèvent à 3186 employés, dont 2164 productifs, disposant de 280 machines-outils (usine de Nantes-Bouguenais non comprise) et de 82000 m2 . Il était donc impossible à Morane d’exécuter seul une commande importante d’appareils complexes[1].
Certes, les hésitations de l’état-major et des services techniques devaient se traduire en avril 1937 par la commande, symétrique et modeste, de 30 appareils supplémentaires de présérie à chacune des sociétés, bientôt suivie par des commandes d’études et d’outillage en vue de séries plus importantes. En mai, Jean Volpert, directeur des Constructions Aériennes fait adopter le principe d’une commande de 300 Nieuport, qui se heurte cependant à deux obstacles. D’une part, arguant de l’accident aux causes non élucidées, l’état-major demande que seule une tranche de 100 appareils fasse l’objet d’une commande ferme, les 200 autres relevant d’une tranche conditionnelle. Surtout, les restrictions budgétaires imposées par Georges Bonnet interdisent de transformer cette intention en commande ferme[2]. Du moins, Volpert peut-il passer à la SNCAO en juillet une commande d’outillage de série. Le projet parallèle de commande de 90 Morane fait l’objet d’échanges avec cette société sur les conditions et couts de leur production.
Prévue sur le budget de 1938, la commande à la SNCAO ne peut être signée avant le départ de Pierre Cot, et doit attendre confirmation par son successeur.
A ce moment du scénario contrefactuel, se pose la question du nombre des LN 161 devant être produits avant la guerre. Fidèle à notre méthode, c’est dans l’histoire réalisée -scénario OTL dans la terminologie propre à ce genre d’exercice- que nous trouvons les éléments de réponse à cette question.
Les perspectives de production contrefactuelles ne relèvent pas d’abord de spéculations sur une capacité théorique, mais bien sur des besoins perçus, que les acteurs traduisent en commandes au gré des possibilités. Le Plan V, adopté le 11 mars 1938, fixait à 1920 chasseurs monoplaces C1, dont 960 en ‘volant’, c’est-à-dire en réserve, le nombre à acquérir. Le terme du plan, d’abord fixée au 1er mars 1941, fut ramené le 11 avril, du fait de l’augmentation des risques de guerre à la suite de l’Anchluss intervenue le 12 mars, au 31 mars 1940. Le Conseil Supérieur de l’Air, unanime, donnait la priorité aux C1, dont 940 exemplaires devaient être produits avant le 31 mars 1939. Telle est la ‘brique OTL’ sur laquelle nous pouvons envisager le scénario contrefactuel de fabrication des LN 161.
Dans le contexte de besoins à satisfaire pour la première tranche, le marché prévu dans le scénario uchronique pour 100 LN161, plus 200 conditionnels, est porté à 700 exemplaires, dont 100 du type 161 et 600 de type à définir au vu des essais en cours, en particulier en matière de radiateurs. Un programme prévisionnel de production est alors établi, visant a priori la fabrication des 600 exemplaires requis au 31 mars 1939. Comme dans les autres pays, à commencer par la Grande Bretagne ou l’Allemagne malgré les moyens considérables qu’ils engageaient, ce programme devait subir d’importants retards.
Au lieu d’être achevée, comme prévue, le 31 octobre 1938, la série initiale de 100 ne devait l’être qu’en janvier 1939. Dans ces conditions, un seul groupe était opérationnel en septembre 1938, avec un second en cours de transformation. Ce n’est pas cela qui pouvait peser sur le rapport de forces aérien au moment de la crise tchécoslovaque conduisant aux accords de Munich.
Après la mise en place de la seconde série, le rythme de production allait s’accélérer, atteignant 50 en février, 110 en avril, pour plafonner à 140 en juillet. La production totale à fin aout atteignait donc 710 depuis janvier, s’ajoutant aux 90 de 1938, pour donner un total de 800 appareils [à comparer à 545 MS 406 dans la réalité OTL, soit un surcroit de 45%].
Divers délais pour l’équipement avaient cependant retardé la mise en service des Nieuport, selon la désignation unanimement adoptée par les pilotes, peu soucieux des appellations officielles. A l’entrée en guerre, sur 630 appareils pris en compte par l’Armée de l’Air, 480 étaient en dotation dans 18 groupes de chasse [au lieu de 307 MS 406 dans 12 GC].
La production devait alors connaître un ralentissement temporaire, du à la mobilisation puis à la transition vers le modèle LN163 à moteur 12Y45. La production de guerre, de 380 appareils au 31 décembre, devait s’accélérer pour atteindre un total de 790 au 30 avril, dont 530 en ligne. Largement remplacés, les LN 162 n’étaient plus que 220 en ligne. C’est donc un total de 750 Nieuport qui équipaient 22 GC, dont, en raison d’une réorganisation en cours qui compliquait quelque peu la situation administrative, certains comportaient 3 escadrilles et les autres seulement 2.[Historiquement, 390 des 1084 MS 406 produits figurait en dotation de 13 GC] . 8 groupes, équipés d’environ 300 chasseurs à moteur en étoile, Bloch 152/153/155 et éventuellement P36, complétaient l’effectif de l’Armée de l’Air métropolitaine, en le portant à 1050 appareils en ligne dans notre scénario contrefactuel. Les efforts de formation de personnels, pilotes mais aussi mécaniciens, qu’il avait fallu déployer pour équiper ces groupes constituent une autre histoire, sur laquelle il nous faudra revenir.
Le grand total de 1590 LN produits dans le scénario ATL, contre seulement 1084 MS 406 dans le scénario historique OTL, ne s’explique pas principalement par des cadences de pointe supérieures, mais surtout par le fait que le relai pris par le modèle 163, qui restait compétitif face au Bf109E, permettait d’éviter le malencontreux manque de production qui a résulté, de décembre 1939 à mai 1940, de la substitution à une chaine de fabrication en plein rendement, d’une autre à monter dans l’urgence à Toulouse pour produire un appareil incomplètement au point.
L’importance de la production avait permis de prendre quelques commandes à l’export. Un premier lot de 30 Nieuport 162, embarqué fin juin pour la Pologne, hâtivement pris en main par leurs pilotes, pouvait participer à la campagne de septembre, non sans quelques succès. Deux exemplaires, récupérés en état de vol, allaient d’ailleurs faire l’objet d’évaluation au Centre d’essais de la Luftwaffe à Reichlin.
Suspendues à la déclaration de guerre, les exportations allaient reprendre. Quelques dizaines de Nieuport 162 en réserve, rendus disponibles par la production de nombreux 163 plus performants, allaient ainsi être livré à la Finlande et à la Grèce[3].
Une dernière chance pour le Nieuport ?
Revenons maintenant à la situation historique prévalant en 1937-1938. Le moment décisif, où s’est trouvé écarté toute perspective raisonnable de voir des chasseurs Nieuport équiper la chasse française de 1939-1940, est celui où l’on du constater que le choix des chasseurs envisageables pour les commandes du Plan V se réduisait au Morane 406 et au Bloch 150, avec le recours, forcément limité à des appareils étrangers.
Le 25 mars 1938 s’ouvre l’ultime fenêtre où l’éventualité d’une commande de LN 161 a été historiquement considérée. Les besoins du Plan V étaient alors évalués à 1535 chasseurs monoplaces, dont « 940 compris dans la première tranche, c’est-à-dire mis en place avant le 1er avril 1939 », à la demande de l’état-major. Toutefois, il fallait constater que « la production escomptée en Morane 406 est de 250 avions au 1er avril 1939. Elle passe à 1060 avions au 1er février 1940. Il reste un déficit total de 476 avions. 185 avions sont actuellement commandés. Il reste donc à commander 1060-185=875 avions. Le Morane 406 est actuellement le seul avion dont la construction en série ait pu être retenue et lancée, mais il reste la ressource du Bloch 150 dont les essais sont à peine commencés »[4].
Le ministre émettant des doutes sur cette solution, «la question du Loire-Nieuport 161 est posée ». L’ingénieur Mazer, appelé à une brillante carrière et qui vient de se montrer l’avocat principal du Bloch 151[5], « expose alors que les performances de cet avion [le LN] se sont révélées, sur plusieurs points, inférieures à celles du Morane 406. Par des considérations diverses, il explique que cet appareil ‘n’a plus de père’ et qu’il est inutile de s’y intéresser ». Avis apparemment décisif, puisque « Monsieur Sabatier [Directeur Technique et industriel] tire cette conclusion qu’il n’y a plus qu’à se rabattre sur le Bloch 150 ou sur l’achat d’avions à l’étranger ».
Nous avons dit « apparemment décisif », car la question est reprise le 13 mai. Mazer affirme alors que les différents problèmes rencontrés avec le Bloch 150 seraient rapidement résolus, et Vuillemin se range à l’avis du colonel Delaittre, directeur du CEMA, pour qui « le Bloch 150 n’a pas les qualités du MS 405 mais c’est un avion acceptable. Sa vitesse est de 484 km/h[6] »[7].
Cet échange suscite une vive réaction de Guy La Chambre : « Le Ministre se dit effrayé par les méthodes de travail pratiquées chez Bloch. Des modifications sont traitées en quelques et appliquées à la série sans même avoir été éprouvées sur le prototype. Puis le ministre demande si, pour éviter les déboires à craindre avec le Bloch 150, il ne serait pas intéressant de s’attacher au Nieuport 161 ».
Mazer introduit alors un argument pertinent, que nous n’avons pas trouvé évoqué auparavant: « c’est surtout une question de moteurs qui a motivé le rejet de cet appareil. Hispano ne produit pas assez de moteurs 12Y pour équiper tous les avions de chasse du programme et il a fallu rechercher un avion utilisant des moteurs à refroidissement par air ». Soulevant une proposition souvent reprise dans les récits uchroniques, « le général Bouscat, [chef du cabinet militaire] fait remarquer qu’il est possible de faire fabriquer des moteurs 12Y en Suisse ». Dans une déclaration étonnante par rapport à ce que nous pouvons savoir par ailleurs « le général Vuillemin annonce que la vitesse du Nieuport 161 n’est que de 445 km/h »[8]. Suite à une nouvelle intervention de Mazer, « le Ministre n’insiste plus ».
Fin avril, une note de Thouvenot, responsable des questions techniques au cabinet de Guy La Chambre, atteste de ce réexamen de la question et nous renseigne sur l’état du dossier concernant le Loire-Nieuport à la fin d’avril 1938. Comme nous l’avons déjà remarqué, cette note ne fait pas état d’objections consécutives aux accidents de septembre 1936 et de janvier 1938. Fait peu connu, elle signale deux commandes de décembre 1936 portant sur les outillages réduits nécessaires à la fabrication des 3 prototypes supplémentaires, mais aussi, d’un échantillonnage d’outillage « approprié aux conditions dans lesquelles il serait possible de passer de l’outillage réduit à un outillage adapté à une production en série de l’ordre de 20 à 25 appareils par mois »[9], qui comportait notamment « la fabrication de tous les gabarits d’interchangeabilité ». Toutefois, note Thouvenot, « cet échantillonnage n’a d’ailleurs pas été réalisé complétement et même eût-il été réalisé, il serait impossible de lancer une fabrication de série sur un échantillonnage et non sur un outillage complet ». De là découle une conclusion négative, scellant le destin du LN 161: « En résumé, prototype intéressant, mais dont la mise au point a été marquée par deux accidents graves qui l’ont retardé considérablement. Outillage de fabrication incomplet et ne permettant pas immédiatement le démarrage en grande série ».
Malgré cette convergence d’avis négatifs, la question est à nouveau évoquée le 25 mai, toujours du fait des inquiétudes soulevées par le Bloch 150. C’est cette fois ci Mazer qui l’introduit, en faisant remarquer que « l’on peut lancer la commande d’un 3e avion [en sus du Morane et du Bloch], par exemple du Nieuport 161. Mais il faut 7 mois pour sortir les premiers exemplaires de la série et la question des moteurs reste posée ». On peut se demander si cette proposition, suggérant une dispersion peu pertinente des commandes, n’est pas lancée à titre de diversion : Où et comment construire le Nieuport quand l’usine de Bouguenais est affectée à la fabrication des Morane ? La discussion qui suit est cependant l’occasion d’appréciations, souvent citées, sur le LN 161. Renouvelant ses affirmations sur les performances, étonnantes au regard des informations aujourd’hui disponibles, « Le colonel Delaittre fait ressortir que la vitesse de cet avion est inférieure de 15 km/h à celle du MS 406 ». Cette affirmation, qui nous parait aujourd’hui bien discutable, n’attribue qu’une vitesse de 470 km/h au prototype -02, comparée à la vitesse «officielle» de 485 attribuée au Morane 405. Détroyat fait par ailleurs état des qualités de vol de l’appareil: « Cet avion se présente aussi bien que le Morane 405, avec cette restriction que les ailerons sont un peu moins efficaces. Le Ministre lui ayant demandé de faire un rapprochement entre le Bloch 150 et le Nieuport 161, Détroyat déclare qu’il n’y a pas de comparaison possible entre eux : par sa facilité de pilotage, le Nieuport 161 est le seul avion susceptible d’être confié à la majorité des pilotes militaires ». Le dernier mot revient à Mazer : Si l’on renonce à la commande des Bloch 150, « les crédits redevenus disponibles pourront être reportés sur un autre avion. Or, le Nieuport 161 ne vaut pas qu’on lui consacre ces crédits ».
S’il est intéressant de revisiter ces débats du printemps 1938, force est de constater qu’ils ne rouvraient pas une réelle perspective de commande pour le Nieuport. A ce moment en effet, la fabrication du LN 161 n’est envisagée que comme un complément à la série principale des Morane, hypothèse que la question des moteurs, mais aussi de l’affection de l’usine SNCAO de Bouguenais suffisent à exclure. A notre avis, le seul scénario contrefactuel pertinent de commande du Nieuport repose sur un arbitrage différent, qui le verrait choisi à la place du Morane, et pas en complément.
La question est alors d’identifier le moment où le choix du Morane est devenu irréversible. Historiquement, ce moment semble remonter à avril 1937, lorsque 50 exemplaires sont commandés à la SNCAO. Cette décision était-elle irréversible ? Au printemps 1938, sans doute, mais il faut être conscient que l’implication de la SNCAO dans la réalisation de ce marché n’a pas été rapide. Facteur important, relevant les sources de retard du 406, Mazer remarquait le 25 mars 1938 que « la Maison Morane, comme il se produit presque toujours dans des cas semblables, ne fournit pas aux sociétés licenciées tous les éléments nécessaires à la mise en fabrication sans tâtonnements»[10]. Une des nombreuses notes sur les retards de fabrication, datant de Septembre 1938, signale même, comme difficulté initiale, la « mésentente entre Morane et le groupement Breguet-Wibault-Morane à qui appartenait l’usine de Bouguenais avant la nationalisation »[11]. La remarque se réfère sans doute à la tentative peu connue de Breguet, au printemps 1936, pour s’associer à la réalisation du chasseur Morane 405[12].
On peut ainsi considérer que l’investissement de la SNCAO dans la production du Morane n’était pas significatif quand survient, à l’automne 1937, le frémissement d’abord timide qui devait préluder au réveil du printemps 1938. C’est le moment ou Féquant fait étudier un modeste projet de renforcement de « l’aviation légère de défense » qui pourrait aligner 234 chasseurs supplémentaires[13]. C’est le moment où le président du Conseil Chautemps, lors d’un déplacement à Londres, se voit interpellé par le Premier Ministre Chamberlain : « En France, vous n’avez pas d’avions modernes et vous n’êtes pas prêts à en fabriquer, c’est un grand danger pour votre pays »[14].
C’est aussi le moment où, inquiet du démarrage laborieux de la construction du Morane et des difficultés qu’il révélait, Volpert, en accord avec l’état-major aurait pu reprendre le dossier du Loire-Nieuport, demander une étude approfondie des possibilités de production comparée du MS 405/406 et du LN161, faire accélérer la finition des prototypes 161 -02 et -03 ainsi que la réalisation de la commande d’outillages visée plus haut. Parallèlement, une mise à plat des résultats d’essais et de la réalité des performances prêtées par la presse à ces principaux prototypes s’imposait. Dans la perspective des 234 chasseurs supplémentaires que devait valider le Conseil Supérieur de l’Air convoqué pour le 13 janvier 1938, le ministre aurait ainsi disposé d’un argumentaire approfondi sur les possibilités de fabrication des deux appareils envisageables. On imagine facilement que la SNCAO, et particulièrement la direction de l’usine de Bouguenais, se seraient alors mobilisés pour proposer un solide dossier de production en faveur du chasseur maison.
Dès lors, la nouvelle équipe ministérielle se trouve en février 1938 devant une situation bien différente de la configuration historique que nous avons examinée. Prenant conscience de l’impératif industriel, il est dès lors logique qu’elle opte pour la fabrication du Loire-Nieuport 161, dont 700 exemplaires sont commandés en deux marchés, passés en avril et juillet 1938.
Le scénario contrefactuel renoue ici avec celui d’un arbitrage plus précoce. Il en résulte un décalage de quelques mois dans les réalisations, sans modifier l’ordre de grandeur des dotations disponibles en septembre 1939, ni, surtout, les productions de la « drôle de Guerre », ni donc la sortie des Nieuport 163.
La famille des chasseurs Nieuport
Dans les scénarios contrefactuels, deux modèles principaux de chasseurs Nieuport équipent en mai 1940 les groupes de chasse de l’Armée de l’Air.
Le Nieuport 162, qui a succédé au 161 de la série initiale, à ce moment relégué dans les Centres d’Instruction, est équipé du moteur HS 12Y31, de 860 cv, qui avec des prises d’air réétudiées et une hélice adaptée, lui assure une vitesse de 485 km/h à 4300 m. En beaucoup plus grand nombre dans les formations, le Nieuport 163 lui a succédé sur les chaînes à l’automne 1939. Il bénéficie d’un moteur HS 12Y45, muni d’échappements propulsifs « à la Hurricane » et d’un compresseur Szydlowski-Planiol qui, avec son radiateur étudié à la nouvelle soufflerie Hispano de Colombes, porte sa vitesse à 532 km/h à 5500 m, pratiquement égale à celle d’un concurrent tardif essayé en 1939, le Dewoitine 520. Il partage aussi avec ce concurrent un armement porté à 2 mitrailleuses par aile. Toutefois, à la mise en service du 163, la disponibilité limitée d’essence C, contraignait à réduire à 6.2, au lieu de 7, le rapport de compression utilisable en continu, interdisant d’utiliser durablement le 12Y45 à pleine puissance, ce qui réduisait de 15 km/h sa vitesse maximale soutenable.
Comme figuré sur le profil ci-dessous [15], le Nieuport 163 voyait ses radiateurs dotés d’un échappement à l’intrados de l’aile, au lieu de l’échappement initial, à l’extrados, soupçonné par certains ingénieurs du CEMA d’être la cause des accidents des prototypes 161.
Pouvant être montés sur des appareils existants, les échappements propulsifs devaient être installés sur les Nieuport 162 en service, progressivement à partir de novembre 1939, en fonction de la disponibilité des kits de conversion nécessaires. Tous les Nieuport 162 engagés en mai, dans la période des opérations actives, avaient bénéficié de cette conversion, portant leur vitesse maximale à 500 km/h à 4300 mètres.
Nouvelle version de l’Hispano 12Y, le 12Y51 offrant 1000 cv devait sortir à partir du mois de juin[16]. Monté sur le LN 163 sans modification sensible, il lui permettrait d’atteindre 550 km/h, égalant ainsi la vitesse du Bf 109 E en altitude.
L’état-major ayant demandé le montage de réservoirs supplémentaires internes, d’usage en principe limité aux missions de convoyage, une version voyait deux réservoirs de 150 litres installés dans les ailes, en arrière du longeron, emplacement rendu possible par l’abandon du système de radiateurs traversant l’aile pour échappement à l’extrados.
La course aux performances s’accélérant, l’état-major avait relevé les performances exigées des chasseurs. Un programme technique du 11 septembre 1939 portait à 650 km/h la vitesse exigée à l’altitude d’adaptation, avec un armement renforcé porté à 6 mitrailleuses en sus du canon de 20 mm, une autonomie et des dotations en munitions renforcées[17]. Pour répondre à ce programme, la SNCAO devait naturellement envisager le montage d’un moteur Hispano à 4 soupapes par cylindres, connu ultérieurement comme le 12Z, et annoncé pour 1300 cv. Très vite, il apparut que ce moteur ne serait pas disponible avant 1941, ce qui conduisait à reformuler le problème en ces termes :
Concevoir un dérivé des Nieuport 161-163, réduisant au maximum les modifications structurales qui obligeraient à reprendre les outillages et bâtis utilisés pour la production, capable de réaliser les performances du programme, et en particulier la vitesse maximale de 650 km/h avec le moteur 12Z définitif, mais aussi d’être produit dès l’été ou l’automne 1940 avec un 12Y51, lui assurant une vitesse de l’ordre de 600 km/h. Le Nieuport ainsi modifié devait être aussi compétitif que possible avec des appareils de conception nouvelle, sur lesquels travaillaient Dewoitine et l’Arsenal de Villacoublay.
Il était clair que l’appareil dessiné en 1934 ne pouvait pas, au contraire du Spitfire par exemple, répondre à ces exigences. En même temps, la perspective de fermer une chaine de production après seulement 18 mois d’activité intensive aurait constitué un gaspillage industriel majeur. De l’étude menée à la SNCAO, il ressortait que le fuselage pouvait être conservé, à l’exception d’améliorations aérodynamiques mineures, telles qu’un capot moins plat, un carénage amélioré de la roulette de queue en position rétractée et un profil optimisé de la verrière. En revanche, les ailes devaient être reprises en profondeur, sans modifier les points d’attache à un fuselage par ailleurs inchangé. Une augmentation de la corde, permettant de réduire l’épaisseur relative, portait de 15 à 16,5 m2 la surface alaire, pour préserver les qualités de vol malgré l’alourdissement consécutif au nouveau moteur, à l’armement et aux capacités de réservoirs exigés par le programme. Le nouveau dessin devait permettre d’avancer légèrement le centre de portance, de manière à conserver le centrage malgré l’allongement et l’alourdissement du bloc moteur.
Les modifications du train étaient substantielles : la substitution d’un support unique à la fourche de fixation des roues permettait de réduire l’épaisseur à loger dans le bord d’attaque après escamotage. L’abandon des jambes et vérins se rétractant à l’extérieur des trains, pour une jambe d’atterrisseur classique se rétractant vers l’intérieur, permettait de dégager le bord d’attaque à l’extérieur du train, un point essentiel pour l’installation d’un armement renforcé, en particulier d’armes plus longues, mitrailleuses lourdes, voire, après d’éventuelles adaptations, de canons d’aile.
Fruit d’un compromis entre exigence industrielle et recherche de performances, résultat d’une étroite collaboration entre le bureau d’étude du constructeur et les services de l’État, dont le CEMA mobilisé par une stricte injonction ministérielle, le prototype Nieuport 165-01, à moteur 12Y51 devait faire son premier vol le 15 février 1940. Il est inutile de dire que les résultats de ses essais étaient attendus avec une grande attention, comme ceux du prototype 165-02, à moteur HS 12Z, dont le 1er vol, le samedi 18 mai, se trouva quelque peu occulté par l’intensité des combats en cours.
L’état-major, et le ministre, allaient se trouver confrontés à un choix difficile, résultant d’un conflit de critère. La supériorité de performances du Dewoitine 552, voire de l’Arsenal VG39, justifiaient t’ils l’ouverture ab initio d’une nouvelle fabrication, appelée à compléter, et à terme à se substituer, aux chaines de production bien rodées des Nieuport ?
L’impact tactique et opérationnel du choix du Nieuport
S’il est possible d’identifier une série d’avantages résultant de l’équipement de la chasse française dans notre scénario contrefactuel, on ne saurait en tirer des conséquences opérationnelles sans prendre en compte toute une série de facteurs qui commandait les conditions d’engagement de ces appareils. Dans ses diverses contributions, Drix est allé très loin dans l’opinion qu’une chasse française plus efficace, parce qu’équipée de Loire-Nieuport, pouvait peser jusqu’à renverser le cours de la campagne de 1940. La question a fait également l’objet d’échanges nourris sur le site FTL, où s’est ouvert en mars 1919, dans le thème ‘autres uchronies’ un sujet relatif à «des uchronies à base de LN 161», proposé par DMZ le 5 mars 2019.
Un premier impact est relatif à l’efficacité de la chasse, en termes de rapport victoires/pertes : les meilleures performances, la maitrise d’un appareil que les pilotes ont eu le temps de prendre en main, des effectifs en ligne supérieurs pouvant réduire la supériorité numérique de la Luftwaffe sont autant de facteurs déterminants de résultats plus favorables. Bien meilleure que celle des Morane 406, la vitesse ascensionnelle des Nieuport aurait amélioré leur capacité d’interception de formations de bombardement ou de missions de reconnaissance. Drix propose ainsi de revisiter un certain nombre de missions type, en comparant, parfois avec un peu d’optimisme, leur réalisation historique sur Morane 406 et leur réalisation contrefactuelle sur LN 161 tandis que le scénario LTL introduit sur le forum Fantasque Time Line envisage particulièrement l’impact de l’intervention d’un nombre significatif de ces chasseurs dans le ciel de Sedan.
Cependant, transformer ces avantages en une supériorité tactique permettant de conquérir la maitrise de l’air exigeait d’autres changements dans les conditions d’engagement des forces aériennes et de la chasse en particulier. Ces changements devaient affecter :
-Les moyens de détection, y compris par l’emploi d’équipements de détection électromagnétiques, alors embryonnaires ;
-Les moyens de communication, assurant la liaison tant avec le sol qu’entre appareils en vol ;
-La doctrine et l’organisation du commandement, qui maitrisait mal les exigences et le rythme du combat ;
Sur le plan quantitatif, le contraste est net entre les effectifs d’appareils existants en ligne pour s’opposer à l’attaque allemande dans notre scénario contrefactuel – 750 Nieuport, complétés par environ 300 chasseurs à moteurs en étoile, au lieu des 777 appareils de 5 types différents existant au 10 mai 1940 dans les formations de métropole. Cet écart serait amplifié par les facilités de maintenance des Nieuport, mais aussi par un taux de pertes ou d’avaries moindre leur assurant un meilleur taux de disponibilités. Plus significatif ainsi que le nombre d’appareils est le nombre de missions qu’ils peuvent accomplir. Historiquement, la chasse française a fourni environ 2150 missions au cours de la première semaine d’opérations actives, du 10 au 16 mai, soit une moyenne bien modeste d’à peine 310 missions par jour, bien insuffisante pour assurer à la fois la couverture des objectifs sensibles, les missions d’escorte et des expéditions de ‘chasse libre’ permettant de contester à la Luftwaffe la maitrise de l’espace aérien[18]. Avec 700 chasseurs en ligne dans les formations opposées à la Luftwaffe [au lieu de 420 historiquement], plus 370 équipant d’autres formations gardées en réserve, une moindre vulnérabilité, de meilleures facilités de maintenance, ce nombre de missions pouvait être doublé pourvu que les moyens logistiques et d’entretien aient été adaptés en conséquence.
Enfin, ce scénario nous invite aussi à réfléchir à d’éventuels « contrefactuels du second ordre », exercice auquel les auteurs d’uchronie attachent généralement trop peu d’importance. Voyant leurs Bf 109C et D surclassés dans les premiers combats de septembre 1939, les Allemands ne seraient pas restés sans réagir. Leur réponse minimale aurait été une accélération de la construction du Bf 109E. Si la fabrication du DB 601 chez Daimler-Benz avait du mal à suivre, cela aurait pu conduire à un ralentissement de la construction des He 111, longtemps prioritaires dans l’attribution de ces moteurs. Il est aussi possible que le chantier conduisant au Bf 109F s’en soit trouvé accéléré.
Côté français, la relative maitrise de l’air acquise au début de la Drôle de Guerre aurait pu conduire à relâcher la priorité accordée à la construction de chasseurs ou, hypothèse plus favorable, à envisager l’emploi des Bloch 153, modèle retenu dans notre scénario, comme chasseur-bombardiers dans des missions d’attaque au sol[19].
En tout état de cause, l’examen de ces facteurs nous éloigne de la nature du présent exercice, celui d’une uchronie « locale » ou « ciblée » explorant les conséquences d’un choix différent pour l’équipement de l’aviation de chasse française. Il est encore plus difficile d’explorer les implications de ce scénario « local » pour un enjeu spécifique, tel que le déroulement contrarié de la percée de Gudérian à Sedan, objet de discussions sur le forum FTL.
Et si…
Malgré notre souci d’adosser étroitement notre scénario contrefactuel à une solide documentation, mobilisée à titre de « brique OTL », force est de constater que le déroulement de cette uchronie sollicite de nombreux facteurs au-delà du choix d’un chasseur particulier.
La conclusion s’impose alors qu’il ne peut y avoir d’approfondissement de ce scénario qui ne fasse intervenir son élargissement. A côté des facteurs techniques, industriels et tactiques évoqués ici se posent en particulier les questions de personnel ou d’infrastructures, d’armements, de communications et de carburants. Notre enquête devra alors être étendue à l’identification de l’origine et du contenu du grand sursaut, d’une ampleur et d’une efficacité devant largement excéder celles de l’effort de redressement entrepris historiquement en Février 1938 pour que l’issue de la campagne de mai et juin 1940 s’en trouve radicalement changée.
Notes et références
[1] Tableau récapitulatif, in SHD Fonds Thouvenot carton Z11606, dossier2.
[2] Historiquement, le budget de l’Air fut réduit le 19juillet à 3204 millions, pour 5 milliards estimés nécessaires. Cf. Robert Frank, Le prix du réarmement français, p.84.
[3] Historiquement, ces livraisons ont porté sur des Caudron 714 et des Bloch 151.
[4] PV du Comité du Matériel, séance du 25 mars 1938, SHD AI 1B06.
[5] Il sera nommé administrateur délégué de la SNCASO en mars 1940, à la place de Marcel Bloch poussé à la démission.
[6] Affirmation pour le moins étonnante, puisque son successeur sensiblement amélioré, MB151 n°01 n’atteindra les 480 qu’en octobre 1938. Le MB 150 est en général crédité d’une vitesse de 434 km/h. cf. Joanne, Le Bloch MB152, pp. 32, 40.
[7] PV du CoMat, séance du 13 mai 1938, SHD AI 1B06.
[8] Rappelons que le constat d’une vitesse de 478 km/h par le CEMA est attesté de plusieurs sources.
[9] Note au sujet du Nieuport 161, SHD Z11607. On remarquera au passage que le cabinet du ministre ne prend pas la peine d’utiliser l’appellation officielle !
[10] PV du CoMat, précité.
[11] In Fonds Thouvenot, SHD Z11606.
[12]E. Chadeau, L’industrie aéronautique en France, 1900-1950, p.230.
[13] Rapport au Conseil Supérieur de l’Air, décembre 1937, SHD AI 1B5.
[14] Th. Vivier, La politique aéronautique militaire de la France, Janvier 1933-Septembre1939, p.396.
[15] Montrant en particulier ses nouveaux radiateurs, avec échappements à l’intrados.
[16] Prévision historique.
[17] Historique.
[18] Estimation d’après Salesse, L’aviation de chasse française en 1939-1940.
[19] La moindre vulnérabilité des moteurs en étoile, dont beaucoup étaient conscients à l’époque, conduit à privilégier cette hypothèse à celle d’un LN 163 chasseur-bombardier envisagée par DMZ.
Voici une uchronie fort riche et intéressante.
Il y a quelques éléments très instructifs sur les discussions de mars à mai 1938 concernant la « malchance » qui s’est abattue sur le LN 161. Et quand je dis malchance, c’est, bien entendu, un euphémisme car il est pour le moins curieux que des décideurs de ce niveau alignent tant de contre-vérités :
– » Les performances, sur plusieurs points, inférieures à celles du Morane 406 » ;
– » la vitesse du Nieuport 161 n’est que de 445 km/h « .
La question est : qui ment ?
La réponse importe peu, la preuve est faite que certains voulaient la peau du Nieuport et l’ont eue.
La manière dont vous amenez les commandes est très crédible mais vous ne modifiez pas les délais de réalisation des prototypes. Sachant que des commandes sont en jeu, à la différence d’OTL, je pense que les délais de réalisation du numéro 2 et, partant, du numéro 3, auraient été raccourcis ; ce qui aurait permis une mise en production probablement un peu plus rapide que vous le proposez. C’est la raison pour laquelle mon uchronie sur FTL est plus optimiste mais on ne peut vous faire grief de rester prudemment conservateur 😉
En revanche, vous n’avez pas abordé le cas du H-75 (sauf une allusion à son éventuelle présence dans certains des 8 GC non dotés de LN 161). Le H-75 n’a été commandé que tardivement du fait du retard de production du MS 406. L’aurait-il été dans cette uchronie, j’en doute, d’autant qu’il coûtait deux fois et demi plus cher qu’un chasseur français, et devait être payé en devises. Économiser la commande de 700 H-75 et 230 H-81 (P-40) aurait pu financer l’achat de 2.000 chasseurs français supplémentaires ! Bon, oui, il faut pouvoir les construire… Mais la mise en production du LN 161 aurait été beaucoup plus facile que ce que fut celle du MS 406 comme vous le rappelez, il aurait donc pu y avoir plus facilement une sous-traitance chez d’autres avionneurs trop contents de l’aubaine (vous m’apprenez les discussions avec Bréguet…)
Une remarque également sur le choix du chasseur-bombardier (ainsi que ça ne s’appelait pas encore à l’époque). Vous affirmez, à juste titre, que les moteurs à refroidissement par air sont moins vulnérables aux impacts, il faut toutefois considérer que l’efficacité de la DCA était totalement sous-estimée en France (et au Royaume-Uni) en ces temps-là, preuve en est le choix du LN 401/411 comme bombardier en piqué et des massacres des bombardiers alliés en mai-juin 1940 utilisés sans considération pour le danger du feu terrestre (et ce, indifféremment pour les moteurs Hispano ou Gnome & Rhône). Je persiste à penser que le choix d’un appareil d’attaque au sol extrapolé du LN 161 était plus naturel qu’à partir du MB 151, tenant compte, justement, des développement en cours pour le LN 40/401 ayant le même fuselage : la conversion est donc facile et même « immédiate » alors que le Bloch devait d’abord faire ses preuves en tant que chasseur. Le Ju-87 aussi a un moteur à refroidissement à eau… Mais, comme cela a été remarqué sur le fil de la FTL, il se serait heurté à une résistance institutionnelle. C’est une uchronie à part entière à écrire là.
Enfin je vous rejoins tout à fait dans votre prudence quand aux réelles conséquences de cette uchronie. Sans simulation sérieusement contrôlée, tous les scénarios des combats et de leurs résultats ne restent que des hypothèses et ne nous permettent malheureusement pas de voir l’impact « réel » de l’introduction du Nieuport en lieu et place du Morane. De plus l’effet papillon nous mènerait rapidement très loin.
Merci de ce commentaire très riche, qui ne m’étonne pas, du fait de vos contributions intéressantes au sujet.
Vous avez raison de considérer mon scénario comme prudent, ou conservateur. Je considère un scénario limité, pas un grand choc qui aurait dynamisé tout le processus de réarmement, du moins de rééquipement de l’Armée de l’Air. Les résultats plus discriminants des premiers essais auraient-ils beaucoup plus accéléré la fabrication des autres prototypes? on touche là à l’étendue supposée de la dynamique initiale.
Pour un chasseur bombardier MB 153, je vois deux raisons:
-le MB 153 à PW disponible fin 39 -900 cv en altitude- est moins bon comme chasseur pur que le Nieuport 163;
-nous avons bien des références françaises de 1937/38 préconisant le moteur en étoile pour cette mission.
Comme il m’est arrivé de l’écrire, la réflexion uchronique introduit une tension entre réalisme et imagination. C’est ce qui constitue une grande part de son intérêt.
Bonjour,
L’ouvrage collectif de la rédaction d’Avions sur le MS-406 indique que la production du chasseur fut ralentit par celle, plus faible, de moteurs. Je ne vois pas ce paramètre pris en compte dans votre uchronie : il aurait pourtant influer tout aussi négativement sur la livraisons des LN-161 ! Quid de l’aspect financier ?
Qui plus est, pourquoi comparer les capacités de production de MS et de la SNCAO, alors qu’historiquement, la majeur partie des MS-406 a été produite par le SNCAO. Finalement, seul me parait pertinent le fait que la SNCAO englobait Loire-Nieuport, donc qu’elle devait disposer de son savoir-faire pour réaliser le LN-161, en plus de moyens de production importants et, éventuellement, d’une certaine fierté à réaliser une production « maison ».
Dernier point qui me semble important : vous parlez d’un nombre plus important de chasseurs en ligne, dans votre hypothèse. Deux questions : êtes-vous sûr que chacun ait eu un pilote compte-tenu de l’imprévision de l’état-major dans ce domaine, car vous n’abordez pas ce point ? Cela aurait-il pu être suffisant pour assurer une supériorité aérienne ne serait-ce que locale ?
Pour aborder tous ces points, il faut effectivement décrire un scénario plus global. Il reste que le choix d’un chasseur plus performant et plus facile à construire que le Morane y apporte une contribution importante.
Ces points font partie de ce que j’ai exploré dans mon uchronie sur le LN 161 dans le forum FTL.
Concernant la production du MS 406, il faut se souvenir que la production initiale a été faite chez Morane-Saulnier et c’est d’abord cette production qui a pris un retard énorme. Les constructions de la pré-série et de la première série des LN 161 à la SNCAO auraient été beaucoup plus rapides pour les raisons évoquées : plus de personnel, usine moderne, deux fois moins d’heures de travail par appareil… Même les productions ultérieures auraient été plus rapides car le démarrage de la construction du MS 406 à la Bouguenais semble avoir été ralenti par des problèmes de transfert de compétences.
Concernant la pénurie de moteur, il y a lieu de considérer que, survenant plus tôt, elle aurait été probablement surmontée plus tôt. La piste de la commande chez Saurer avait été évoquée OTL et pourrait déboucher ici. La piste Allison ou RR Merlin était une solution également (les appareils français devaient pouvoir être adaptés à une motorisation étrangère même si les constructeurs traînaient les pieds pour le faire, semble-t-il) qui aurait pu être mis en place toujours du fait de la date plus précoce de la pénurie.
À noter que la pénurie ne concernait pas seulement les moteurs mais beaucoup d’autres sous-systèmes et que la solution aurait pu être similaire (sous-traitants suisses ou américains : hélices, instruments, radios…)
Quand à la question financière, un chasseur américain coûtait plus de deux fois plus cher qu’un français, comme je l’ai mentionné plus haut, économiser 1.000 H-75 ou H-80 aurait permis de construire près de 2.500 LN 161… Sans compter l’équilibre de la balance commerciale de la France.
Enfin, pour écrire mon uchronie sur le Nieuport 161 sur le forum FTL, j’ai fait un nombre important de simulation de production, j’arrive à une fourchette très importante allant de 1.200 appareils en ligne à près de 2.000 en mai 1940… Si l’on se tient à la position la plus conservatrice, on a 26 GC (dont deux polonais) équipés de 34 avions chacun face à l’Allemagne soit près de 900 appareils homogènes (sans compter tous les autres GC et les GAA équipés du même appareil), du niveau de leurs adversaires (meilleurs que les 109 C ou D et capables de rivaliser avec le E) et dont les pilotes et mécaniciens connaissent leurs montures depuis des mois : pas de changement d’appareil, tous les GC sont opérationnels et les moteurs ne connaissant pas les problèmes de refroidissement du MS 406 sont moins en fin de potentiel pour les plus vieux. La production est à son maximum et permet de compenser les pertes (dans mes simulations, j’ai pris 2% de pertes mensuelles hors combat, 3% pendant la drôle de guerre (ce qui est plus que OTL) et 15% à partir du 10 mai).
Le problème des pilotes arrive également plus tôt et peut aussi être pris en compte plus tôt, la plus grande production de Nieuport va permettre de doter largement les trois CIC (Chartres, Montpellier et Meknès) même si la formation initiale va rester un goulet d’étranglement. Mais, même s’il n’y a pas plus de pilotes de chasse, il n’y a pas beaucoup plus d’appareils que OTL ; les deux grands avantages sont : homogénéité de la chasse (un seul modèle de C1 au lieu de six : MS 406, MB 15x, H-75, C 415, D.520, Koolhoven-58, sans compter les appareils obsolètes encore en escadrille et en attendant les VG 33 et H-80) et grande disponibilité (les GC pourront se rééquiper en cas de destruction accidentelle ou en combat).
À noter un point intéressant : Morane-Saulnier a présenté au salon de Paris fin 35 et fait voler en mars 37 le MS 430, un dérivé biplace école à moteur en étoile du MS 405. On peut imaginer qu’il est commandé pour les écoles de pilotages (EPP et CIC) pour calmer Morane-Saulnier qui a, de toute évidence, bien fait marcher son lobbying, et ceci bien avant la commande des NAA-57 et 64.
Avec près de deux fois plus d’appareils beaucoup plus performants en ligne, la maîtrise du ciel aurait été beaucoup plus disputée et les attaques aériennes allemandes auraient pu être contrebattues avec plus de succès. Ce qui aurait pu mettre quelques grains de sable dans les rouages fragiles de l’offensive par les Ardennes (avant : les reconnaissances, et pendant : les bombardements). Quelques jours perdus et le GA 1 peut s’extraire de Belgique avec une bonne partie de son matériel, ce qui aurait changé pas mal de choses.
Remarques intéressantes, que je ne partage pas toutes. J’aurai l’occasion de développer des perspectives sensiblement différentes à l’occasion du développement du scénario contrefactuel du « grand sursaut », supposé débuter en septembre 1937.
Un dernier point : en septembre 1939, les jagdgruppen équipés de Bf 109 D, attendent la livraison de Bf 110. Je ne suis donc pas certain qu’il y ait eu une influence sur la production du Bf 109 E… par contre sur l’accélération d’une amélioration, sans doute.
bonjour
j’ai quelques questions
je voudrais savoir si lors de la crise des Sudètes, l’armée de l’air aurait-il pu commandé des LN 161 pour compenser le manque MS 406 en cas de déclanchement des hostilités.
sinon, pour vous, le Dewoitine 520 aurait-il pu rentré en service plus tôt ou il aurait fallu compté sur une arrivé précipité de Bloch 151( qui si je ne montre pas ne sort toujours pas en série a cette période)
Il y avait aussi le choix d’un achat en urgence de H75, les américains auraient-ils pu fournir dans les temps?
Le Dewoitine série 500 aurait-il pu résisté le temps d’arrivé des nouveaux avions ?
merci pour votre site très intéressant pour les gens comme moi passionné par cette période
Qu’un avion soit disponible plus tôt suppose en général que plusieurs conditions soient réalisées. Cela met en cause les services et l’état-major dont l’avis sur le choix des modèles est en général suivi par le ministre, les services et les industriels pour les possibilités de production, avec le ministre pour les financements, si les Finances et les priorités du moment lui en donnent les moyens.
Le ‘point de bifurcation’ décisif pour la carrière du LN 161 aurait été que le prototype LN160 vole avec un HS 12Y et pas un 12 X, ce qui l’aurait sans doute imposé face au MS 406.Sauf bouleversement dans les moyens du Ministère, la série aurait débouché au printemps 1938, avec au mieux quelques escadrilles opérationnelles au moment de Munich, pas de quoi modifier sensiblement le rapport des forces.
Pour le D520,on pouvait gagner du temps sur la commande du prototype et en équipant une première série de 12Y31 au lieu de 12Y45. Il aurait aussi fallu que la mise au point du prototype progresse plus vite, en particulier en matière de refroidissement et d’échappement propulsif. Le site industriel de Toulouse était lui même en pleine réorganisation, et une commande anticipée aurait peut-être due être passée ailleurs.Les D500/510 étaient produits principalement par Lioré-Olivier.
La famille Bloch 150/151 partait d’un prototype médiocre. On aurait gagné du temps si Bloch n’avais pas délaissé un temps le premier MB150 qui n’avais même pas réussi à décoller. A nouveau, une maitrise plus rapide des problèmes de refroidissement et moteur aurait été nécessaire pour une amélioration significative.
On voit mal le P36 commandé plus tôt et , surtout, la capacité de production américaine en 1937 était très faible. Comme je le suggère, la meilleure façon de tirer parti du P36 était d’adapter son bloc moteur, avec capotage et hélice- à un Bloch 151, sorte de MB153 donc, d’où un bénéfice de fiabilité mais faible en gain de temps.
Vous avez raison d’évoquer le D510, seul disponible alors que les usines étaient très sous-utilisées (et sous-financées) en 1937. L’acharnement sur le perfectionnement du D513 raté était une erreur. Des améliorations marginales pouvaient être apportées au D510. Avec le emplacement des Loire 46 et SPAD 510, à défaut de performances brillantes, la chasse française au moment de Munich y aurait nettement gagné en efficacité.
Avec mes excuses pour cette réponse tardive.
Concernant les moteurs Hispano Suiza mentionnés dans les commentaires ci-dessus. Le document suivant consacré à la soufflerie de l’usine de Bois-Colombe mentionne une production de 132 moteurs par mois en 1939 (soit 2808 moteurs sur l’année) et 234 par mois en 1940, avec un pic en juin à 330 ! Il ne donne pas d’indication pour les années antérieures.
https://www.bois-colombes.com/pdf-docs/soufflerie-hispano-2004.pdf
Cela doit correspondre aux états de réception auxquels je me suis référé.Les moteurs pouvaient passer ensuite quelque temps à l’entrepot de Nanterre-La Folie, là où a été construit l’université.
et coté moteur pour les bombardiers au moins
https://oldmachinepress.com/2019/09/20/farman-18t-18-cylinder-aircraft-engine/?fbclid=IwAR1qfciPcIM_q6sJGv7AcjMOGgDQVmUk45ILM0lpSSGcF1c23N0ZTM-4yr0
le Farman 18T 24,4li pour 1200/1400cv …
les services technique et certains pontes ont desservie l’armement pour leurs intérets privé j’ai bien peur …
Bonjour j’ai quelques questions:
-1) quel aurait été la vitesse de pointe du LN-161 02 avec essence indice 100 octane ?
-2) quel aurait été la vitesse de pointe du LN-161 03 avec : pipes d’échappements du BF-109 E, essence indice Octane 100*, compresseurs S39, moteur 12Y51 ??
-3) A partir de quand les premiers LN-161 03 auraient ils pus entrer en service ??
Svp MAXIME