Production aéronautique et main d’œuvre : l’impact controversé du Front Populaire

Représentant typique de la mise en cause des responsabilités sociales dans les faiblesses de l’armée de l’Air en 1940, le capitaine Accart évoquait « l’effort soutenu par son personnel militaire pendant les années qui ont précédé la guerre, années terribles de préparation intensive où les mécaniciens d’escadrille travaillaient avec acharnement tout le jour et parfois même la nuit afin d’essayer de compenser les déficiences des usines en grève et l’insuffisance des ‘quarante heures’ »[1]. Certes marquée par le climat de l’époque, cette dénonciation, exonérant les militaires pour concentrer la critique sur la responsabilité imputée au Front Populaire reste très présente dans la littérature.

La responsabilité de cet épisode politique et social mérite d’être revisitée sans parti-pris, à la lumière de la documentation disponible, au-delà de la seule question des quarante heures. Pour l’ancien ministre de l’Air Laurent-Eynac, « la nationalisation n’a pas donné les résultats attendus :  coïncidant avec la situation politique trouble de cette époque, elle s’est accompagnée d’une chute incontestable des rendements en usine, d’une crise de discipline qui atteignait le personnel d’encadrement et de maîtrise, lui enlevait toute autorité, créait, pour ainsi dire dans chaque usine, une crise intérieure dommageable à la bonne marche de la production, une fabrication de l’ordre de 400 machines, une capacité de production humiliante, a dit M. Daladier »[2], tandis que pour l’ingénieur  Métral : « Parmi les causes essentielles du retard de production, il faut relever la limitation des heures de travail, l’infériorité du nombre des ouvriers spécialistes, et le faible rendement ouvrier. Nous ajouterons également la crise de la maitrise »[3].

Ce n’est pas seulement par l’enjeu d’un armement aérien retardé que l’industrie aéronautique tient une place centrale dans le débat sur les conséquences du Front populaire, c’est aussi parce que ses usines ont été de véritables précurseurs  des grèves avec occupation, puis des accords sociaux salariaux ou non salariaux et des laboratoires de leur mise en œuvre parfois chaotique, comme du grand retournement de novembre 1938 qui viendra clore cette expérience marquante de l’histoire politique et sociale de la France.

Pour revisiter cette période, il convient d’abord de revenir sur l’explosion sociale de mai-juin 1936 et sur l’effet direct des grandes mesures adoptées alors : semaine des quarante heures et convention salariale. Au-delà, notre attention se portera sur les facteurs du sous-emploi massif de la main d’œuvre en 1937, puis sur les conflits de pouvoir résultant de l’organisation et du fonctionnement de la représentation ouvrière.

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Le Bloch 152, des débuts médiocres, des progrès tardifs

« L’appareil Bloch 152, jugé seul, se présente comme un appareil solide, assez puissant et sans aucune difficulté particulière de pilotage. Comparé au Me109, son adversaire, il s’avère inférieur en tout point: vitesse, visibilité, camouflage»[1]. Auteur de ce constat après la défaite, le commandant Soviche aurait pu ajouter : malgré les progrès réalisés depuis l’entrée en guerre. En effet, si l’histoire du chasseur Bloch, avec ses qualités et ses limites, est bien couverte par diverses publications, on connait moins le parcours difficile de cet appareil, commandé par défaut, après des débuts médiocres, remis en cause à diverses reprises pour ses performances insuffisantes, et qui devait laisser le souvenir d’un chasseur honorable, malgré les défaillances de son moteur et de son armement.

Il nous a paru intéressant de revisiter l’histoire du Bloch 152, au regard des débats que cet appareil a soulevé au sein du ministère, comme des témoignages  portés sur lui par divers pilotes et ingénieurs.

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La qualité des moteurs, talon d’Achille de l’aviation française de 1940: 2ème partie

 

Pour lire la première partie: La qualité des moteurs, talon d’Achille de l’aviation française de 1940

Cherchez le coupable : enquête sur les causes de la faiblesse des moteurs français

Le défaut de fiabilité des moteurs français, aux conséquences pénalisantes pour les utilisateurs, tenait à des causes diverses, au premier rang desquels figuraient des problèmes de qualité des matériaux et de la fabrication mais aussi des erreurs de conception, résultant d’une orientation technologique sacrifiant la solidité à la recherche de la légèreté, à l’opposé des choix américains dictés par les impératifs de l’aviation commerciale.

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La qualité des moteurs, talon d’Achille de l’aviation française de 1940

« Coupons moteur arrière droit »[1]: Ces quelques mots, le dernier message  de l’hydravion Latécoère 300 Croix du Sud dans lequel va bientôt s’engloutir Mermoz  le 7 Décembre 1936, ont suscité une profonde émotion. Ils sont aussi révélateurs d’une source de faiblesse essentielle de l’aviation française d’avant-guerre, la qualité et, plus précisément, la fiabilité de ses moteurs. Déjà, en septembre 1928, c’est une baisse de régime d’un moteur Jupiter qui avait causé en  l’accident mortel de Maurice Bokanowski et par contrecoup, la création du ministère de l’Air. 

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Les derniers chasseurs Bloch, 157, 1010, 1011, 1040: entre mythe et mystères

Mis à jour le 27/11/2018

Dans l’histoire de l’aviation, le patronyme de Marcel Bloch disparait avec la défaite de 1940. Comme pourra l’écrire son biographe Claude Carlier, « Marcel Bloch est mort à Buchenwald »[1]. C’est en effet sous le nouveau nom de Marcel Dassault, emprunté  au nom de guerre de son frère ainé que l’avionneur, rescapé par miracle du camp de concentration,  reprend ses activités après son retour. Il n’y aura donc plus de chasseurs Bloch, mais une prestigieuse lignée de Dassault qui, d’Ouragan en Mystère, de Mirage en Rafale, vont constituer les fleurons de l’industrie aéronautique française. Continuer la lecture